22 juillet 2024
Comment les médecins ajustent-ils leur pratique lorsqu'une étude majeure est démentie?
La remise en question d'une étude préconisant l'accouchement par césarienne pour les bébés qui se présentent par le siège a été suivie d'une réponse rapide et adéquate des médecins
Le 21 octobre 2000, la revue scientifique The Lancet publiait une étude internationale qui concluait que les bébés qui se présentent par le siège s'en tirent mieux si l'accouchement se déroule par césarienne plutôt que par voie vaginale. L'étude, nommée le Term Breech Trial, semblait nickel: 121 centres de 26 pays y avaient participé, l'échantillon de 2083 accouchements était substantiel et The Lancet jugeait que cette recherche était à la hauteur de ses standards. Il n'en fallait pas plus pour que les autorités médicales, celles du Canada et des États-Unis notamment, modifient leurs lignes directrices de bonnes pratiques pour les rendre conformes aux conclusions de l'étude. Lorsqu'un bébé à terme se présente par le siège, il était recommandé de procéder à une césarienne.
En 2004, un premier article – il y en aura plusieurs autres par la suite– venait jeter un pavé dans la mare. Les auteurs de l'article démontraient que si l'on tenait compte de l'expérience des médecins et des caractéristiques des patientes qui ont participé au Term Breech Trial, les indicateurs de santé des bébés nés par césarienne n'étaient pas supérieurs à ceux des enfants nés par voie vaginale.
«Ce n'est pas tous les jours qu'une étude médicale aussi médiatisée est remise en question. Nous avons voulu savoir comment les médecins avaient répondu à l'étude initiale du Lancet et à sa remise en question subséquente», explique Maripier Isabelle, du Département d'économique de l'Université Laval.
Avec ses collaborateurs Philip DeCicca, de la Ball State University, et Natalie Malak, de l'University of Alabama, la professeure Isabelle a analysé des données portant sur quelque 28 millions d'accouchements, dont plus de 750 000 cas de siège, survenus aux États-Unis entre 1995 et 2010. L'équipe a comparé le taux de césariennes au cours de trois périodes: avant la parution du Term Breech Trial dans The Lancet, pendant les quatre années qui ont suivi sa parution, et après la publication du premier démenti de l'étude.
Les résultats, parus dans la revue Health Economics et en libre accès ici, montrent que la publication du Lancet n'a pas eu d'effet statistiquement significatif sur le taux de césariennes dans les cas de siège à terme. «Ce taux, qui était de 78,4% avant 2000, est passé à 80% entre 2000 et 2004. Il se peut que l'absence d'effet soit due au fait que le taux de césariennes en pareilles circonstances était déjà très élevé aux États-Unis, laissant peu de marge à un ajustement», avance la professeure Isabelle.
Par contre, la publication des études remettant en question les conclusions du Term Breech Trial a été suivie d'une forte réponse des médecins. «Il y a eu un ajustement rapide et marqué dont l'ampleur nous a surpris, souligne la chercheuse. Le taux de césariennes dans les cas de siège à terme est descendu à 66% entre 2004 et 2010, sans que la santé des bébés en soit affectée. Cette baisse est d'autant plus remarquable que, pendant la période couverte par l'étude, le taux de césariennes pour les bébés qui se présentent par la tête a augmenté de plus de 70% aux États-Unis, passant de 6,6% à 11,4%. Cette tendance à la hausse a aussi été observée dans la majorité des pays de l'OCDE.»
Des études antérieures ont montré que les obstétriciens sont généralement lents à modifier leur pratique en réponse aux avancées en recherche. «Ça n'a pas été le cas ici, constate la professeure Isabelle. Les médecins ont réagi rapidement et adéquatement à la remise en question du Term Breech Trial et ils ont adapté leur pratique en ce sens, même dans un contexte mondial où les césariennes étaient en hausse. Cela démontre que les débats dans la communauté de la recherche peuvent entraîner des ajustements rapides de la pratique médicale.»