
«Bonjour docteur, je viens vous voir pour une douleur dans la poitrine», lance une patiente animée dans un casque de réalité virtuelle. Depuis novembre, les 280 étudiantes et étudiants au 1er cycle du programme en médecine de l'Université Laval ont une nouvelle activité formative obligatoire. Grâce à un simulateur de cas cliniques, ils sont plongés dans un environnement qui leur permet de s'exercer à l'entrevue médicale, l'examen physique et la résolution de problèmes.
«J'enseigne les habiletés cliniques, ce sont les trois axes que je développe. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe dans la tête des étudiants, c'est de les amener à travailler avec les connaissances acquises en classe et de développer leurs capacités à raisonner et à résoudre des problèmes. C'est très pratique», indique François Ratté, médecin clinicien, professeur au Département de médecine de famille et de médecine d'urgence.
S'il utilisait jusqu'à présent des séquences vidéo comme outil de formation, il constate que le simulateur propulse l'expérience à un autre niveau. En plus du casque sans fil, des mains virtuelles permettent à l'étudiante ou à l'étudiant de se déplacer, de saisir des objets, par exemple pour prendre les signes vitaux, d'organiser une note médicale à partir des informations recueillies ou de sélectionner des options.
«Après le questionnaire et l'examen physique, on demande à l'étudiant de faire son choix par rapport à ses hypothèses diagnostiques, de les justifier dans la note médicale, de chiffrer son degré de certitude, puis de se positionner sur sa prise en charge. Je me suis rendu compte avec le temps que la meilleure façon d'apprendre est d'avoir à se commettre, à prendre des décisions, d'être actif dans les apprentissages», poursuit le professeur Ratté.

François Ratté, à gauche, accompagne des étudiants en pleine simulation.
Cette innovation lui a valu un Prix d'excellence en enseignement de l'Université Laval, catégorie Ressource pédagogique. Fait anecdotique, le simulateur est né d'une «rencontre entre deux papas regardant leurs filles jouer au volleyball», raconte le médecin professeur. Sylvain Simard, compagnon d'estrade et développeur externe, est devenu son complice en informatique. L'étudiant en médecine et ancien programmeur Jean-Philippe Bussière s'est ajouté au duo et l'outil a été développé en un an.
Signe que le réalisme fonctionne, des étudiants répondent parfois au patient animé dans le simulateur. «Pour nous, c'est un indicateur qu'ils vivent l'expérience de façon très immersive. Ils adorent ça, le simulateur est confortable», lance François Ratté en précisant que l'exercice ne doit cependant pas dépasser une heure et quart. «La réalité virtuelle en mode jeu, c'est très stimulant, mais en mode réflexif, comme c'est le cas ici, ça génère une fatigue qui ressemble à la fatigue du clinicien en pratique, un aspect très intéressant», dit-il.
Une réponse à l'augmentation des cohortes
Cette technologie répond aussi à un besoin du programme de 1er cycle. «En médecine, l'exposition clinique est tardive et complexe», expose le professeur. Alors que les cohortes étudiantes vont en augmentant, dit-il, les stages ne suffisent plus, les professionnels sur le terrain sont débordés et il n'est pas facile d'avoir des patients-partenaires qui viennent se faire examiner à l'université.
«Avec ce simulateur, j'ai une clinique remplie de patients virtuels qui sont toujours prêts. D'un point de vue pédagogique, c'est incroyable comme on peut amener les étudiants dans des milieux de travail virtuels, mais réalistes, dans un espace qui est sécuritaire, où ils peuvent pratiquer sans stress, en prenant tout le temps nécessaire et en pouvant faire des erreurs. S'ils ont besoin d'aide, ils n'ont qu'à lever la main.»
François Ratté, aussi vice-doyen adjoint du site de formation de Lévis, apprécie également la facilité de déploiement du simulateur, alors que le programme de médecine de l'Université Laval se donne aussi à Lévis et à Rimouski. «On part avec nos casques et on installe les étudiants là-dessus.»
La patiente animée avec sa douleur dans la poitrine est l'un des trois scénarios proposés pour l'instant, mais les possibilités à explorer sont infinies, indique le professeur. Il voit des applications autant pour les étudiants du niveau externe (ou résidents) dans les hôpitaux, que pour de la formation médicale continue pour des professionnels déjà en pratique. Il parle aussi de «collaborations interprofessionnelles» à travers des activités qui pourraient être de type multijoueurs.
Faculté de pharmacie: faire connaître la réalité des patients
Ce type d'initiative suscite l'intérêt sur le campus. Le professeur Ratté a notamment collaboré avec Marie-Laurence Tremblay, professeure à la Faculté de pharmacie, qui voulait explorer les avenues possibles avec la réalité virtuelle et a testé son simulateur. Titulaire de la Chaire de leadership en enseignement Familiprix en pharmacie communautaire, son objectif est toutefois différent.

La professeure Marie-Laurence Tremblay
— Dany Vachon
Avec Etherlab et une équipe diversifiée, elle développe de son côté une simulation pour que la personne qui enfile le casque soit plongée dans la peau d'un patient psychotique. La professeure Tremblay avait entendu parler de quelques démarches du genre à travers le monde, où l'on tentait de sensibiliser les étudiantes et les étudiants de différents domaines de la santé à la réalité de l'autre.
«On avait là un filon intéressant. C'est difficile pour un jeune de 18-20 ans de comprendre les difficultés, les limitations et les frustrations que peuvent vivre les patients. On pense que les étudiants vont mieux saisir les besoins des personnes en l'ayant vécu eux-mêmes. C'est ce qui est fantastique avec la réalité virtuelle, on y croit vraiment. L'objectif est de développer une espèce de reconnaissance du senti, on n'est pas loin de l'empathie.»
La professeure souligne qu'il est scientifiquement prouvé qu'être empathique augmente la capacité de créer un lien avec le patient et que la qualité de l'intervention proposée est alors plus grande.
Son projet va bon train et elle utilisera sa simulation pour un cours en troisième année de pharmacie à la session d'automne 2024. Mais ses visées sont plus larges. «Je veux faire quelque chose d'assez transdisciplinaire. Prendre la perspective d'un patient est très valable, peu importe la profession de la santé et même des sciences sociales», indique la professeure Tremblay, qui travaille avec des professionnels en pharmacie, en neuropsychologie, en psychiatrie ainsi qu'avec des patients-partenaires pour valider la justesse de l'expérience.
«C'est un début. Tout mettre en place est un parcours du combattant, mais il y a tellement de potentiel», dit-elle avec optimisme.
Le professeur Ratté voit quant à lui son Prix d'excellence en enseignement comme «un levier pour aller chercher du financement afin de poursuivre le projet et développer cette expertise à l'Université Laval».