14 novembre 2023
Transition énergétique: des atouts pour faire du Québec un acteur incontournable
Une étude démontre que les entreprises d’ici pourraient se distinguer dans trois filières, soit l’exportation d’électricité, l’exploitation des minéraux critiques et stratégiques, et les technologies pour le transport électrique

Le barrage Daniel-Johnson (Manic-5) sur la Côte-Nord. Le 2 novembre, le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, annonçait le Plan d’action 2035 – Vers un Québec décarboné et prospère. La société d’État prévoit construire de nouvelles centrales hydro-électriques, rénover celles existantes et établir de nouveaux parcs éoliens. L’objectif, très ambitieux, est de doubler la capacité de production d’électricité d’ici le milieu de la prochaine décennie.
— Axel Drainville
De par le monde, une transition énergétique est en marche dans la lutte contre les changements climatiques. Le dérèglement du climat résulte principalement de l’activité humaine. Il est causé notamment par l’utilisation des combustibles fossiles qui produisent des gaz à effet de serre, tels que le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Face à cette problématique, les gouvernements se mobilisent en mettant en place une transition énergétique basée sur l’abandon progressif de l’énergie produite à partir de ces combustibles fossiles, en faveur de diverses formes d’énergie renouvelable. Elle comprend aussi l’élimination de la surconsommation et du gaspillage d’énergie.
Dans ce contexte, comment le Québec, avec son potentiel énergétique considérable et sa capacité de création de savoirs et de savoir-faire, peut-il tirer son épingle du jeu? Une étude publiée récemment dans la revue de vulgarisation scientifique Le Climatoscope, par une équipe de chercheurs du Département de science politique de l’Université Laval, vient répondre à cette question.
L’étude a été réalisée par le professeur Alexandre Gajevic Sayegh et quatre étudiants à la maîtrise: Jeanne Desrosiers, Annabelle Olivier, Guillaume Huot et Laurent Lauzon-Rhéaume.
Les auteurs ciblent trois manières, pour le Québec, d’avoir un avantage stratégique dans la transition énergétique qui se dessine. Comme exportateur d’électricité, il doit miser sur l’efficacité énergétique de ses clients québécois pour augmenter son offre en énergie, en plus de développer davantage les filières solaire et éolienne. Comme producteur de minéraux critiques et stratégiques, notamment le lithium, le titane et le cobalt, le Québec doit miser, comme arguments de vente, sur ses pratiques d’exploitation qui respectent des normes environnementales et sociales élevées ainsi que le recyclage des matières critiques. Et comme créateur de technologies pour le transport électrique, le Québec doit mettre l’accent sur les batteries, les camions légers ainsi que les véhicules électriques moyens et lourds.
«L’objectif de cet article était de souligner l’importance, pour le Québec, d’avoir cette réflexion, à savoir comment se positionner dans un environnement changeant et en ébullition comme en ce moment, explique le professeur Sayegh. Le Québec pourrait tirer profit de cette situation. Il y a différentes avenues pour bien se positionner. Ne pas le faire nous condamnerait à être laissés pour compte. Dans quelques années, des pays vont être des leaders, d’autres seront laissés derrière.»
Une utilisation plus optimale de l’électricité
En 2019, le rapport État de l’énergie au Québec révélait que plus de la moitié (52%) de l’énergie québécoise était perdue à cause d’inefficacités dans les étapes de la transformation, du transport et de la consommation. Dans ce dossier, Hydro-Québec prévoit, d’ici 2032, économiser 8,9 TWh d’énergie basée sur une utilisation plus optimale de l’électricité. Les filières solaire et éolienne, quant à elles, représentaient respectivement moins de 1 % et environ 5 % de la production totale d’énergie au Québec. Selon les chercheurs, le potentiel photovoltaïque québécois surpasse celui du Canada. Quant au potentiel éolien du Québec techniquement exploitable et intégrable au réseau, il serait de l’ordre de 61 à 74 TWh, soit environ le tiers de la production électrique actuelle.
Le 2 novembre, le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, annonçait le Plan d’action 2035 – Vers un Québec décarboné et prospère. La société d’État prévoit construire de nouvelles centrales hydro-électriques, rénover celles existantes et établir de nouveaux parcs éoliens. L’objectif, très ambitieux, est de doubler la capacité de production d’électricité d’ici le milieu de la prochaine décennie.
Selon le professeur, la population doit prendre conscience que la longue période des surplus d’électricité tire à sa fin. «Ces dernières années, indique-t-il, les demandes en électricité ont explosé pour plusieurs raisons. On peut penser au développement des cryptomonnaies et de l’intelligence artificielle, l’électrification des transports et le streaming.»
Selon lui, il faudra nécessairement augmenter la capacité de production d’électricité. «Mais, poursuit-il, nous insistons sur l’idée qu’avant de penser à construire de nouveaux barrages, qui ont un coût au niveau des écosystèmes locaux, il faudrait d’abord penser à évaluer comment consommer mieux notre énergie, parce qu’on gaspille beaucoup, ce qui est contre-productif économiquement. En ce qui concerne les filières solaire et éolienne, il faudrait avoir une stratégie pour les développer au maximum, ensuite, si nécessaire, se poser la question sur la pertinence de nouveaux barrages.»
Un producteur minier responsable
Le Québec possède la plus grande variété de minéraux critiques exploités au Canada. Grâce notamment au graphite, au vanadium, au nickel, au cuivre, au niobium et au zinc, le potentiel minier du Québec dans la transition énergétique est bien réel. Selon les chercheurs, le Québec pourrait devenir un leader international dans le domaine. Pour cela, ils recommandent le développement d’une expertise en matière de pratiques d’exploitation de minéraux critiques. Ils suggèrent également d’aller vers le recyclage de ces minéraux dans un esprit d’économie circulaire, ce qui contribuerait à l’image du Québec comme producteur minier responsable. Miser sur les entreprises minières du Québec pour la phase d'exploitation serait un atout.
«Le Québec est assez riche en minéraux critiques et stratégiques, et c’est vraiment une force pour son positionnement stratégique dans la transition énergétique, affirme Alexandre Gajevic Sayegh. C’est une manière de nous démarquer en faisant cette exploitation de la manière la plus juste possible et la plus respectueuse de l’environnement. Les normes EGS – environnement, gouvernance, société seront très en demande dans l’avenir. Par exemple, on peut penser qu’il y aura beaucoup de pression dans la fabrication de turbines éoliennes, en Norvège ou en Californie, pour que l’approvisionnement en minéraux critiques et stratégiques soit éthique.»
Autre atout: le Québec pourrait jouer la carte éthique sur le plan géopolitique face à des acteurs imposants comme la Russie et la Chine.
«Le Québec, dit-il, a déjà des normes très élevées en matière environnementale et des droits de la personne. Il pourrait se distinguer davantage en renforçant ses normes actuelles pour favoriser, entre autres, la consultation des Premières Nations. Dans le scénario international, le Québec pourrait être amené à être une alternative de choix, un fournisseur de premier plan, un leader face à ses concurrents russes ou chinois. On peut regarder les conditions de travail, notamment dans les mines de cobalt du Congo. Elles sont exploitées par des Chinois. Des abus systématiques des droits de la personne, des conditions de travail vraiment difficiles ont été très répertoriés.»
Les technologies sobres en carbone
L’électrification des transports fait partie des priorités du gouvernement du Québec depuis une dizaine d’années. En 2020, le gouvernement a annoncé l’interdiction de la vente de véhicules à combustible fossile d’ici 2035.
En 2021, la filière québécoise des transports électriques réunissait plus de 175 entreprises et plus de 9000 employés, pour un chiffre d’affaires combiné de plus de 3 milliards de dollars. Cet automne, quelques annonces spectaculaires pour la fabrication de batteries lithium-ion sont venues enrichir cette filière. Pensons notamment au projet Northvolt.
«Aujourd’hui, on peut dire qu’on a une vraie stratégie d’électrification, soutient Alexandre Gajevic Sayegh. On voit une recherche-développement et des investissements et un déploiement rapide. Cette électrification est profonde, c’est en train d’arriver au niveau des voitures électriques avec les bornes de recharge, les bus scolaires électriques. On commence à le voir au niveau des camions. Cela dit, on doit rester critiques au sens où on doit comprendre quelle est la place de la voiture électrique. On doit réduire son usage au Québec. Elle est beaucoup plus “verte” qu’une voiture à combustion interne, mais on doit quand même comprendre l’importance de ne plus miser seulement sur l’auto solo.»

En 2019, la filière éolienne représentait environ 5% de la production totale d’énergie au Québec. Selon les chercheurs, le potentiel éolien techniquement exploitable et intégrable au réseau serait de l’ordre de 61 à 74 TWh, soit environ le tiers de la production électrique actuelle.
— Andrew Gustar