Diminuer notre consommation de sel pour qu'elle corresponde aux recommandations des autorités de santé publique pourrait prévenir jusqu'à 5300 décès par année au Canada. C'est la conclusion à laquelle arrive une équipe de recherche au terme d'une étude qui a évalué les répercussions de différents scénarios de réduction de la consommation de sodium sur la santé de la population canadienne. Les travaux de cette équipe, pilotée par Mary L'Abbe, de l'Université de Toronto, ont fait l'objet d'une publication dans la revue Plos One.
Pour arriver à cette estimation, l'équipe de recherche, dont fait partie la professeure Marie-Ève Labonté, de l'École de nutrition, de l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels, et du Centre NUTRISS – Nutrition, santé et société de l'Université Laval, a utilisé les résultats du volet nutritionnel de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, réalisée en 2015 par Statistique Canada. Cette enquête contient des informations sur le type et la quantité d'aliments consommés lors d'une journée par quelque 20 000 personnes vivant au Canada.
Par la suite, les chercheurs ont estimé la quantité de sodium (note: 1 mg de sodium correspond à 2,5 mg de sel) consommée par ces personnes en croisant les résultats de l'enquête de Statistique Canada avec une base de données, constituée à l'Université de Toronto, qui documente la composition nutritionnelle de plus de 17 000 aliments préemballés vendus au pays.
«L'exercice nous a permis de constater que la consommation moyenne de sodium atteignait 2758 milligrammes par jour. C'est nettement plus que les apports préconisés par Santé Canada (2300 mg/j) et par l'Organisation mondiale de la santé (2000 mg/j). C'est aussi plus que l'apport suffisant préconisé par la National Academies of Sciences, Engineering and Medicine (NASEM) des États-Unis, qui est de 1500 mg/j», résume Marie-Ève Labonté.
La consommation de sel est associée à l'hypertension, un important facteur de risque des maladies cardiovasculaires. Grâce à un outil de simulation permettant d'estimer comment les changements de comportements se répercutent sur la mortalité, l'équipe de recherche a calculé le nombre de décès qui seraient évités si les recommandations touchant la réduction de sodium étaient respectées. Résultats? Le respect des seuils proposés par Santé Canada, par l'OMS et par la NASEM préviendrait respectivement 2176, 3252 et 5296 décès chaque année au Canada, soit environ 4%, 6% et 9% des décès attribuables aux maladies cardiovasculaires au pays.
Il y a quelques années, en accord avec la proposition de l'OMS qui recommandait une réduction de 30% de la consommation de sodium, le Canada s'est engagé à réduire à 2300 mg/j la consommation moyenne de sodium au pays à partir de 2025. «Entre 2004 et 2015, la baisse a été de 700 mg, même si aucune mesure contraignante n'a été imposée aux entreprises. Les 400 mg restants risquent d'être plus difficiles à aller chercher sans l'adoption de cibles obligatoires», estime la professeure Labonté.
La crainte des entreprises est que les consommateurs se détournent de leurs produits s'ils en réduisent la teneur en sel. «Pour éviter cela, il faut y aller très progressivement, souligne la chercheuse. Une expérience menée en Tunisie a montré qu'une réduction de 35% de la teneur en sel dans le pain n'était pas perceptible par les consommateurs lorsqu'elle était étalée sur une période de trois ans. De plus, des travaux de recherche démontrent qu'on peut éviter les réactions négatives des consommateurs en remplaçant le sel de table par des ingrédients substituts, comme le sel de salicorne, qui relèvent le goût des aliments tout en réduisant l'apport en sodium.»