Après les musées d'arts et d'archéologie, serait-ce au tour des collections d'histoire naturelle, notamment des herbiers, de poser un regard critique sur le caractère colonial de leurs collections? Ceux qui doutent de la pertinence de cet exercice devraient jeter un coup d'œil à une étude qui vient de paraître à ce sujet dans Nature Human Behaviour.
Une équipe internationale rassemblant des conservateurs d'herbier et des botanistes a étudié la provenance de quelque 85 millions de spécimens conservés dans 92 herbiers de 39 pays. Les analyses de ces chercheurs ont mis en lumière un fait étonnant pour les personnes peu familières avec le monde des herbiers: les collections les plus diversifiées se trouvent dans des pays qui ont une faible diversité végétale naturelle. Ainsi, aux États-Unis et dans certains pays d'Europe, la diversité biologique de certains herbiers est deux fois plus élevée que la diversité végétale du pays où ils se trouvent.
«Cette relation inverse indique qu'une bonne proportion des espèces représentées dans les grands herbiers provient de l'étranger. Elle s'explique principalement par la présence de spécimens provenant de pays de l'équateur et de l'hémisphère sud dans des collections qui se trouvent dans des pays nordiques», résume l'un des auteurs de l'étude, Serge Payette, professeur associé au Département de biologie et conservateur de l'Herbier Louis-Marie de l'Université Laval entre 2004 et 2021.
Il y a deux raisons à cela, poursuit le professeur Payette. La première est de nature historique. «Les premiers herbiers ont vu le jour au 16e siècle dans des pays d'Europe ayant un passé colonial. Des naturalistes de ces pays parcouraient le monde et les plantes qu'ils ont rapportées de leurs expéditions se sont retrouvées dans des herbiers nationaux.»
La seconde raison est que les grands herbiers, qui sont dotés de moyens considérables, continuent d'enrichir leurs collections en faisant des acquisitions, qui comprennent notamment des plantes provenant de l'étranger. «Les conservateurs d'herbier tirent une certaine fierté du fait d'avoir un grand nombre de spécimens dans leur collection, souligne Serge Payette. Cela reflète le dynamisme de l'herbier, en plus de permettre de mieux servir les utilisateurs qui consultent les collections pour réaliser des travaux de recherches.»
Le résultat est qu'un grand nombre de plantes se trouvent aujourd'hui dans des herbiers situés dans des pays où elles ne poussent pas en nature. Les conservateurs d'herbier devraient-ils suivre l'exemple des dirigeants de musées d'arts et d'archéologie et entreprendre une décolonisation de leurs collections en retournant les spécimens étrangers dans leur pays d'origine?
«Je suis d'accord avec le principe, dans la mesure où ces pays veulent récupérer ces spécimens et qu'ils sont en mesure d'en assurer adéquatement la conservation, répond Serge Payette. Il faut des infrastructures et des ressources pour bien entreposer des spécimens de plantes, et ces moyens manquent parfois dans certains pays du Sud.»
Même s'il fait partie des herbiers de pays nordiques, l'Herbier Louis-Marie se trouve dans une position particulière sur la question de la décolonisation. La presque totalité de ses 800 000 spécimens provient du Québec et du reste du Canada. Il y aurait donc peu de plantes de sa collection à retourner à l'étranger. Par contre, il pourrait profiter d'un mouvement de décolonisation des herbiers européens.
En effet, des spécimens collectionnés au Québec entre le 17e et le 20e siècle – notamment des plantes herborisées par les explorateurs Jacques Cartier et Samuel de Champlain, et par les naturalistes Michel Sarrazin, Jean-François Gaultier et Pehr Kalm – pourraient se trouver dans des collections européennes.
«En 2004, j'avais contacté le Muséum national d'histoire naturelle de Paris pour récupérer des spécimens collectionnés au Québec au cours des derniers siècles, se souvient Serge Payette. Ma demande est restée sans réponse. Ces spécimens seraient des ajouts intéressants à l'Herbier Louis-Marie, essentiellement en raison de leur valeur historique et sentimentale.»