La pleine conscience, mindfulness en anglais, s'est frayée un chemin dans la culture populaire, des salles de yoga aux applications de détente qui en vantent les bienfaits. Elle a aussi fait sa place dans le monde de la recherche, alors que les études sur le sujet se multiplient. Il semble toutefois y avoir un croisement entre les croyances personnelles des scientifiques et la manière dont ils réalisent leurs recherches.
C'est ce que montre Andrée-Ann Métivier dans sa thèse de doctorat en anthropologie déposée cet été, qui pose un regard sur la façon dont se fait la science dans cette discipline. Ses travaux ont relevé que plusieurs scientifiques accordent une grande importance à leur propre expérience de la mindfulness. «Ce n'est pas courant. L'expérience personnelle peut jouer un rôle dans le choix des projets eux-mêmes, mais quand on fait de la recherche, on se distancie de ça. Alors que dans ce domaine d'études, ça joue un rôle central, c'est valorisé et même perçu comme étant nécessaire», dépeint l'anthropologue.
Par définition, la pleine conscience est la manière de «porter son attention délibérément sur l'expérience qui se déroule au moment présent, sans jugement de valeur». Un concept popularisé en 1979 par le chercheur en biologie moléculaire et professeur de médecine, Jon Kabat-Zinn, pour réduire le stress et qui tire ses origines des pratiques de méditation bouddhiste.
Une distance relative
«Dans les premières décennies des études sur la pleine conscience, on sent que les chercheurs ont voulu prendre une distance, s'éloigner du contexte bouddhique, religieux, moral. Mais quand on regarde de plus près, on se rend compte que des aspects moraux demeurent dans les travaux scientifiques», souligne Andrée-Ann Métivier. Un exemple? Dans le choix des collaborateurs d'une équipe de recherche, il peut y avoir des moines, illustre-t-elle.
«À travers la recherche, une certaine philosophie, certains principes extrêmement proches du bouddhisme sont encouragés», dit-elle en ajoutant qu'il est fréquent de voir les grandes figures de proue de la recherche sur la mindfulness aux côtés du dalaï-lama, chef spirituel tibétain.
«On sent une adhésion assez forte à la pleine conscience», a-t-elle constaté parmi les chercheurs et les étudiants qui prennent part aux grands congrès sur le sujet. En plus d'avoir fait de l'«observation participante» lors d'événements, de laboratoires et d'écoles d'été en lien avec cette thématique, elle a réalisé 33 entretiens semi-dirigés avec des chercheurs en psychologie, en neuropsychologie, en neurosciences et quelques psychiatres aux États-Unis, au Québec et à Toronto. Elle a aussi cumulé plusieurs échanges informels et analysé la littérature scientifique sur la mindfulness, des années 1960 à aujourd'hui.
L'anthropologue a observé que les chercheurs qui s'intéressent à la pleine conscience la considèrent davantage comme une manière de voir la vie et le monde, et pas uniquement comme une technique thérapeutique. La notion de compassion est aussi très présente et teinte la recherche, poursuit-elle. «C'est comme si les chercheurs participaient à la construction d'un monde plus bienveillant, plus compatissant, plus juste.»
Montrer les angles morts et poser des questions
Elle-même dit avoir un intérêt et une familiarité avec plusieurs pratiques contemplatives et techniques de méditation. «J'apprécie beaucoup d'éléments de la philosophie derrière la pleine conscience, mais pas tout, j'ai un regard critique», nuance Andrée-Ann Métivier. Elle a aussi croisé des chercheurs qui se positionnent à l'extérieur de leur sujet et font voir les angles morts du milieu. «Mais ils sont minoritaires», a-t-elle constaté dans ses travaux.
Elle ne discrédite pas les résultats de l'ensemble des recherches sur la pleine conscience, qui comprennent «des données très intéressantes». Mais elle estime que devant ce champ d'études en émergence, où le croisement entre croyances et science est plus prononcé que dans d'autres domaines, il faut se poser des questions.
«Quand les chercheurs ont une double autorité, dans le milieu religieux et dans le milieu scientifique, les gens peuvent accorder beaucoup de crédit à ces personnes-là et il y a des risques.» Elle a relevé la propension de certains scientifiques à donner des conférences sur la marche à suivre pour être heureux, le tout appuyé sur leurs recherches. Un terrain glissant, selon elle.
Le sujet de la pleine conscience passionne et la vague n'est pas près de s'essouffler. Il y a des cours sur cette approche dans certaines universités et le financement pour la recherche est important, particulièrement aux États-Unis, note Andrée-Ann Métivier. L'agence gouvernementale National Institutes of Health y a accordé plus de 100 M$ en 2019, mentionne-t-elle, en ajoutant que l'armée américaine allonge aussi beaucoup d'argent pour ce type d'études. «Il y a une industrie qui est née de ça aussi, des applications sur les téléphones, des produits... Il y a des gens qui y voient des intérêts pas seulement économiques, mais politiques.»
Elle voit dans tout ce mouvement une «occasion de discussion, d'échange, de dialogue avec des pairs d'autres disciplines qui ont développé des outils pour encadrer la recherche et réfléchir à ces questions de manière rigoureuse».
Pour sa thèse, Andrée-Ann Métivier a eu comme directrice de recherche la professeure Stephanie Lloyd, spécialisée dans l'anthropologie des sciences, de la médecine et de la psychiatrie.