Martin Saint-Louis: jamais repêché. Jonathan Marchessault: jamais repêché. Tom Brady: repêché au 199e rang. Les cas de ces trois athlètes, qui se sont hissés parmi l'élite de leur sport après avoir été largement sous-estimés par les recruteurs, illustrent à quel point le repérage de jeunes prometteurs est un exercice périlleux. Il y aurait moyen de diminuer les risques de commettre pareilles erreurs en évaluant certaines caractéristiques psychologiques des jeunes joueurs, en particulier chez ceux dont le talent n'a pas encore pleinement émergé, suggère une étude publiée dans le Journal of Sports Sciences par une équipe de recherche de l'École de psychologie de l'Université Laval.
Pour en faire la démonstration, les chercheurs ont reçu le concours de 95 joueurs de hockey âgés de 15 ou 16 ans. En 2019, quelques semaines avant la séance de repêchage de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), des membres de l'équipe de recherche ont rencontré ces joueurs afin les soumettre à des tests mesurant certaines caractéristiques psychologiques qui influencent les pensées, les émotions et les comportements. L'une de ces variables était la capacité d'autorégulation des apprentissages. «En deux mots, il s'agit de la capacité à tirer le maximum d'apprentissage des enseignements qui nous sont offerts», résume l'un des membres de l'équipe de recherche, le stagiaire postdoctoral Daniel Fortin-Guichard.
De plus, les chercheurs ont eu recours à des vidéos pour mesurer la capacité d'anticipation, la prise de décision et le processus attentionnel de chaque participant. Les sujets devaient visionner des vidéos présentant diverses situations de jeu. À différents moments de l'action, l'image était mise en pause et les participants devaient prédire la suite des choses. Ceux qui étaient attaquants devaient prédire ce que le joueur en possession de la rondelle allait faire, alors que ceux qui étaient défenseurs devaient prédire la réponse du défenseur. Chaque participant devait ensuite dire ce qu'il aurait fait en pareilles situations. Pendant le visionnement, un appareil enregistrait les mouvements oculaires des participants.
Parmi les 95 joueurs évalués, 70 ont été repêchés après la deuxième ronde, soit au-delà du 36e rang. «Cela signifie que les recruteurs ne les considéraient pas parmi l'élite de leur cohorte», souligne Daniel Fortin-Guichard.
Trois ans plus tard, les chercheurs ont rencontré les recruteurs des Remparts de Québec afin de connaître leur évaluation de ces joueurs à partir de leurs performances dans la LHJMQ. Les réponses des recruteurs ont permis d'identifier 15 de ces 70 joueurs qu'ils sélectionneraient dans leur équipe s'ils en avaient à nouveau la chance. «Quand ces joueurs avaient 15 ou 16 ans, les recruteurs n'avaient pas été en mesure de déceler leur potentiel en se fiant à leurs performances sur la glace. Leur talent était latent», souligne le stagiaire postdoctoral.
Les chercheurs ont analysé les données psychologiques récoltées trois ans plus tôt afin de trouver des indices révélateurs du potentiel qui sommeillait en ces joueurs. Résultat? Ces jeunes avaient un score d'autorégulation plus élevé que les autres, et leur stratégie de balayage visuel des images vidéos était plus dynamique. «Ils allaient chercher de l'information dans plus de parties de l'image en arrêtant leur regard moins souvent, c'est-à-dire qu'ils faisaient une seule prise d'information par élément important tout en regardant chaque élément important», explique Daniel Fortin-Guichard.
Ces variables permettent de classer correctement 84% des jeunes repêchés tardivement qui sont devenus ou non des joueurs clés dans leur équipe. «En théorie, on pourrait donc identifier une forte proportion des talents latents chez les jeunes joueurs à partir de tests qui mesurent ces variables», souligne le stagiaire postdoctoral.
Est-ce que ces variables pourraient aussi aider les équipes de la Ligue nationale de hockey à faire de meilleurs choix lors du repêchage? «Il est probable que les variables psychologiques qui permettent de prédire les performances ultérieures des joueurs de 18 ans ne sont pas les mêmes que celles que nous avons trouvées pour les jeunes de 15 ou 16 ans. Par contre, la même méthode pourrait être appliquée en étudiant des jeunes de 18 ans pour déceler quelles variables seraient les meilleurs prédicteurs de leurs performances futures», estime Daniel Fortin-Guichard.
Les autres auteurs de l'étude parue dans le Journal of Sports Sciences sont Émie Tétreault, David Paquet et Simon Grondin, de l'École de psychologie de l'Université Laval, et David Mann, de la Vrije Universiteit Amsterdam.