Dans les lacs du Québec, les explosions de cyanobactéries, communément appelées algues bleues, surviennent pendant la période la plus chaude de l'été. De là à penser que la température est le facteur clé pour la croissance de ces bactéries potentiellement toxiques, il n'y a qu'un pas, mais il faut se garder de le franchir, suggère une vaste étude internationale publiée dans la revue Harmful Algae.
Des chercheurs de 8 pays, dont Sylvia Bonilla, professeure invitée au Département de biologie de l'Université Laval et professeure à l'Universidad de la República en Uruguay, et Dermot Antoniades, du Département de géographie et du Centre d'études nordiques de l'Université Laval, en ont fait la démonstration à l'aide de données provenant de 464 lacs.
«Ces plans d'eau sont répartis le long d'un gradient nord-sud de 14 000 km, depuis la Terre de Feu en Argentine jusqu'à l'île d'Ellesmere au Nunavut. Ils sont situés dans des zones dont le climat va d'équatorial à polaire», précise le professeur Antoniades, qui a lui-même mené des travaux en Antarctique et dans l'extrême Nord canadien.
Les chercheurs ont tenté d'établir des corrélations entre la biomasse des cyanobactéries dans ces lacs et différents facteurs environnementaux. Leurs conclusions? «Il n'existe aucune association nette entre la latitude de ces lacs, leur position le long d'un gradient climatique et la biomasse des cyanobactéries qui y vivent. La température en soi n'influence pas la biomasse des cyanobactéries», résume le professeur Antoniades.
Les analyses ont plutôt révélé que le principal facteur qui explique les variations dans la biomasse des cyanobactéries dans les Amériques est la concentration de phosphore dans les eaux du lac. «L'abondance de l'azote a également un effet, mais il se manifeste surtout dans les lacs dont la profondeur est de moins de 3 mètres», précise le chercheur.
«Sous nos latitudes, les floraisons de cyanobactéries surviennent l'été parce que c'est à ce moment de l'année que les apports en nutriments provenant du ruissellement naturel, des sédiments lacustres et des activités humaines sont les plus grands, explique-t-il. Peu importe la chaleur, en absence de phosphore et d'azote, il n'y aura pas de floraison de cyanobactéries. À l'inverse, elles peuvent proliférer sous des climats très froids.»
Le professeur Antoniades et ses collaborateurs ont d'ailleurs documenté le cas d'un lac de Resolute, sur l'île de Cornwallis, l'un des endroits habités les plus froids au monde, qui avait connu des explosions de cyanobactéries dans le passé. «Les eaux usées de l'aéroport et de la base militaire apportaient des nutriments dans ce lac», rappelle-t-il.
Beaucoup d'attention a été accordée aux liens possibles entre la hausse des températures attribuable aux activités humaines et la prolifération des cyanobactéries. Un peu trop, peut-être, estime le chercheur. «Nous ne nions pas que le réchauffement climatique existe et que l'augmentation des températures peut aggraver les floraisons lorsque les nutriments sont abondants. Par contre, en absence de nutriments, le réchauffement ne provoquera pas de floraison de cyanobactéries. Pour régler le problème des floraisons, il faut se concentrer sur les véritables cibles: l'abondance du phosphore et de l'azote dans l'environnement lacustre.»