Il y aurait moyen de prévenir une invasion de renouée du Japon en milieu riverain, mais la facture de cette intervention précoce pourrait en faire sourciller plusieurs. En effet, selon une étude publiée dans la revue Invasive Plant Science and Management, il faudrait débourser environ 142$ pour chaque renouée du Japon qu'on empêcherait de s'installer sur une berge.
«Ça peut sembler élevé, mais c'est beaucoup moins cher que de laisser aller les choses et de tenter par la suite d'éradiquer une colonie bien établie. Sans compter le fait que l'intervention précoce a beaucoup plus de chances de succès», soutient le responsable de l'étude, Claude Lavoie, professeur à l'École supérieure d'aménagement du territoire et de développement régional et chercheur au Centre de recherche en aménagement et développement de l'Université Laval.
La renouée du Japon est une plante exotique envahissante originaire de l'Asie de l'Est qui a été introduite au Québec en 1901 comme plante ornementale. Par la suite, elle a pris la clé des champs et elle s'est établie dans différents milieux, souvent dans des environnements perturbés. «Cette espèce forme des colonies très denses qui réduisent la diversité biologique végétale, souligne le professeur Lavoie. Les berges où elle s'installe deviennent dénudées pendant l'hiver, ce qui accroît l'érosion des sols lors de la crue printanière et la quantité de sédiments qui se retrouvent dans l'eau.»
Une fois la renouée du Japon bien installée dans un milieu, il faut beaucoup de travail pour arriver à s'en débarrasser. «Ses rhizomes peuvent plonger jusqu'à deux mètres de profondeur dans le sol et un petit fragment suffit pour régénérer une plante. Elle est très abondante en milieu riverain parce que les débâcles et les crues printanières favorisent la fragmentation et la dissémination des rhizomes de la renouée du Japon le long des cours d'eau », souligne le professeur Lavoie.
L'excavation de la renouée du Japon ou le recours à des herbicides puissants figure parmi les rares moyens pour venir à bout d'une colonie établie, mais ces pratiques sont interdites en milieu riverain au Québec. L'équipe de Claude Lavoie a testé une autre approche, plus artisanale et plus écologique, qui consiste à détecter les nouvelles pousses de renouée du Japon qui font leur apparition sur les berges au printemps, à déterrer les fragments de rhizome d'où elles émergent et à les arracher.
Pour évaluer l'efficacité et les coûts de cette approche, le professeur Lavoie et les étudiants Gabriel Rouleau, Marianne Bouchard et Rébecca Matte l'ont mise en application, en 2019 et 2020, sur deux tronçons de 10 km longeant la rivière Etchemin. La renouée était très bien installée dans l'un des tronçons, alors que sa présence était sporadique dans le second.
En calculant les salaires – correspondant à celui d'un débutant dans un poste de technicien en environnement – les avantages sociaux et le transport, les chercheurs ont calculé qu'il en coûte 142$ pour chaque fragment de rhizome prélevé dans la partie de la rivière peu envahie par la renouée du Japon. «Dans les faits, la quasi-totalité des frais est associée à la recherche des fragments de rhizomes, pas au déterrage. Cette approche est néanmoins efficace et économiquement avantageuse, si on la compare à ce qu'il en coûterait pour éradiquer une colonie bien établie, estime Claude Lavoie. C'est une comparaison purement théorique parce qu'on ne peut pas excaver en milieu riverain et l'usage des herbicides y est très limité.»
Dans le contexte actuel, il n'y a pas grand-chose à faire contre les colonies de renouée du Japon bien établies, poursuit-il. «Elles produisent des milliers de nouveaux fragments chaque année. L'arrachage de ces fragments devrait être répété annuellement et les coûts seraient trop élevés. Par contre, dans les sections de rivière où la plante est encore peu abondante, une intervention qui repose sur la détection précoce et l'arrachage manuel des fragments de rhizomes peut prévenir l'établissement de nouvelles colonies. Si le travail est bien fait, il ne serait pas nécessaire de répéter cette intervention chaque année. Donc, l'arrachage manuel de la renouée du Japon est efficace et économiquement défendable, mais dans des conditions très précises.»