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Discuter du choix de carrière avec son adolescent ou son adolescente n'est pas anodin pour un parent. S'il n'y a pas de manuel d'instructions pour mener à bien ce type de conversation, une étude donne quelques pistes, comme savoir que les émotions de l'un influencent simultanément celles de l'autre, et qu'il vaut mieux miser sur des échanges positifs et soutenir l'autonomie de son enfant plutôt que se montrer contrôlant.
Mélanie Bourret en a fait un sujet d'article dans le cadre de son mémoire de maîtrise en sciences de l'orientation, à l'Université Laval. L'étude, publiée dans Journal of Vocational Behavior, amène un nouvel éclairage. «Voir ce qui se passe dans une discussion sur le choix de carrière, voir comment l'interaction se développe a été très très peu étudié», dit-elle. Jusqu'ici, la recherche s'était penchée sur la perception globale des parents et des enfants, mesurée à partir de questionnaire.
Pour remédier à cette lacune, elle a observé et analysé la conversation de 42 familles québécoises, soit autant de duos père-fille, père-fils, mère-fille, mère-fils. Les adolescents avaient entre 12 à 16 ans au moment de leur participation en 2018 et 2019, soit la tranche d'âges où commence le questionnement relatif au choix de carrière.
Chaque duo parent-enfant a pris place sur les canapés du Laboratoire de recherche sur les relations sociales, la motivation, la réussite et la persévérance scolaires, situé au pavillon des Sciences de l'éducation. «C'est un peu une imitation de salon pour que tout le monde soit confortable. Il y a évidemment des caméras qui sont installées un peu partout, mais après les cinq premières minutes, les gens les oubliaient», mentionne Mélanie Bourret, qui a cosigné l'article avec sa directrice de maîtrise, la professeure Catherine F. Ratelle, et son codirecteur, le professeur André Plamondon, tous deux de la Faculté des sciences de l'éducation.

Le salon du Laboratoire de recherche sur les relations sociales, la motivation, la réussite et la persévérance scolaires est en fait une salle d'observation.
Les conversations, de 20 minutes chacune, étaient libres, mais devaient porter sur le choix de carrière. Une équipe de recherche a ensuite codé et dénombré les comportements des parents, classés en deux catégories: le soutien à l'autonomie (comme donner des choix à son enfant, l'informer, le responsabiliser, valoriser son point de vue) ou le contrôle (mettre de la pression, donner des buts de performance, contraindre, culpabiliser, menacer, invalider ses sentiments).
Puis un logiciel de reconnaissance faciale a permis d'identifier chez les participants les sept principales émotions universellement reconnues, soit le bonheur, la colère, le dégoût, la peur, la tristesse, la surprise et le mépris, par période de 30 secondes.
Contagion émotionnelle
Les résultats ont montré que les émotions et les comportements étaient interreliés et avaient une influence simultanée. L'autrice parle même de «contagion émotionnelle», c'est-à-dire que si un parent est positif lors de la discussion, l'enfant est aussi plus positif et inversement.
Il a aussi été possible d'observer que le soutien à l'autonomie du parent est bénéfique à court terme pour l'adolescent et permet de réduire ses émotions négatives. D'autres études ont démontré que ce comportement parental amène l'adolescent à se sentir plus compétent dans sa prise de décision, mentionne l'autrice.
En moyenne, les parents de l'échantillon étaient plus soutenants dans la démarche que contrôlants. «Ce qui veut dire que, généralement, ça risque d'être positif pour l'enfant de parler de choix de carrière avec son parent», analyse-t-elle.
Simples constats, les résultats étaient assez similaires peu importe la composition du duo (père-fille, père-fils, mère-fille, mère-fils) et les garçons exprimaient des émotions plus négatives durant les discussions.
De la théorie à la pratique
Quelle leçon peut-on tirer de cette étude? «Ça permet de réaliser que les parents peuvent contribuer à l'exploration vocationnelle de leurs enfants en ayant des échanges positifs et axés sur l'autonomie», résume Mélanie Bourret, qui travaille aujourd'hui comme conseillère en orientation.

Mélanie Bourret
Elle invite les parents qu'elle rencontre à analyser leur réaction quand ils discutent du choix de carrière avec leur progéniture. Quand l'adolescent est frustré, plutôt que de se montrer négatif, contrôlant ou culpabilisant, il est bon de prendre un pas de recul. «Comme parent, est-ce que j'ai à tendance à exprimer mes propres peurs?», peut-on s'interroger.
Elle sensibilise tout le monde au fait que parler de choix de carrière suscite des émotions négatives comme du stress, de la peur, de l'inquiétude, de la tristesse, ce qui est tout à fait normal. Il importe, selon elle, de reconnaître les sentiments de l'adolescent ou de l'adolescente, de comprendre son point de vue. «Il est positif d'offrir des choix qui sont en lien avec ses intérêts, d'expliquer certaines étapes à suivre. Par exemple, s'il ou elle désire devenir avocat ou avocate, le cheminement nécessaire est le baccalauréat à l'université.»
En contrepartie, elle suggère d'éviter des comportements qui vont amener l'enfant à faire des choix pour plaire au parent, de le culpabiliser ou de seulement accepter de payer ses études s'il prend telle ou telle voie.
Sachant que le parent a un rôle important dans la réflexion professionnelle de son enfant, aussi bien utiliser ce poids à bon escient.