Le 13 juillet 2021, tout juste après le coup de 11 heures, des membres d'une équipe du Centre d'éducation et de recherche de Sept-Îles (CERSI) faisaient une ronde d'observation près de la côte lorsque leur attention a été attirée par des souffles de baleine dans un secteur situé plus au large, habituellement peu fréquenté par les mammifères marins. En s'approchant, ils ont vite constaté qu'ils avaient sous les yeux quelque chose de singulier.
«C'est comme si un train était passé près de notre bateau. Nous avons vu un groupe de 13 rorquals qui se déplaçaient comme une seule entité, nageant en formation compacte, plongeant et refaisant surface de façon synchrone», raconte Anik Boileau, directrice du CERSI et étudiante-chercheuse au doctorat au Département des sciences animales de l'Université Laval.
Ce comportement de déplacement collectif ou de navigation synchrone est bien connu chez les poissons, les oiseaux ainsi que chez les épaulards et les dauphins. «À notre connaissance, c'est la première fois que ce comportement est rapporté de façon détaillée pour le rorqual commun», précise Anik Boileau. Les détails de cette observation viennent d'ailleurs de paraître dans un article publié par la revue Aquatic Mammals.
Cette séquence montre le comportement de déplacement collectif adopté par les 13 rorquals communs.
— CERSI
Plusieurs chercheurs ont déjà documenté la formation de groupes chez le rorqual commun. Ainsi, une étude parue en 2009 rapportait la présence de groupes de rorquals allant de deux à 18 individus dans le golfe du Saint-Laurent. Les travaux menés par le CERSI depuis 2017 montrent que, dans le secteur de Sept-Îles, les rorquals communs sont le plus souvent vus seuls, mais qu'ils forment parfois des groupes allant de deux à cinq individus.
«En général, les groupes de trois rorquals ou plus se font et se défont rapidement. Il pourrait s'agir d'une forme de socialisation. Ce qui est différent dans le comportement que nous avons observé est que les rorquals forment un groupe plus stable et qu'ils nagent de façon synchrone en ligne droite, comme s'ils se déplaçaient en groupe vers une destination précise, souligne Anik Boileau. Il ne s'agissait pas d'un comportement d'alimentation parce que, lorsqu'ils se nourrissent, les rorquals communs se déplacent en formant des cercles dans un secteur limité.»
Dans l'article publié par Aquatic Mammals, la doctorante et ses collaborateurs décrivent trois cycles similaires. Les rorquals nagent en surface pendant environ deux minutes, plongent simultanément, restent sous l'eau pendant près de sept minutes et refont surface à l'unisson. Pendant ces trois cycles, ils ont couvert une distance d'environ huit kilomètres (les conditions maritimes ont forcé l'arrêt des observations).
«Notre hypothèse est qu'ils étaient en déplacement vers des sites d'alimentation, peut-être dans le secteur de Mingan. Les rorquals communs ne se nourrissent pas au hasard dans le golfe; ils fréquentent des zones qui sont traditionnellement riches en proies dont ils se nourrissent. Le fait de se déplacer en groupe pourrait les aider à mieux s'orienter dans leur environnement. Les indices captés et fournis par chaque baleine pourraient aider le groupe à se déplacer de façon optimale.»
Difficile pour le moment de dire si ce comportement est exceptionnel. «La plupart des observations de rorquals communs, que ce soit par des croisiéristes ou par des chercheurs, ont lieu dans les zones où ces baleines se nourrissent, soit près de côtes, constate la doctorante. Il se peut que ce comportement de déplacement collectif soit fréquent, mais qu'il nous ait échappé parce qu'il se manifeste au large des côtes. Même si le rorqual commun est le deuxième plus grand animal de la planète, il y a encore beaucoup de choses qu'on ne connaît pas à son sujet.»