Au cœur de l’été dernier, une expérience scientifique inusitée s’est déroulée pendant quatre jours sur le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Québec, plus précisément dans l’estuaire de la rivière Saint-Charles et le long du Quai de la reine, ainsi que près de l’île d’Orléans et près de Lévis, sur la rive sud. À bord du bateau de recherche Louis-Edmond-Hamelin, propriété du Centre d’études nordiques de l’Université Laval, le conseiller en pédagogie universitaire Willian Ney Cassol et l’étudiant à la maîtrise Juzer Noman, tous deux rattachés au Département des sciences géomatiques, ont récolté de nombreuses données sur la surface du fond du fleuve à l’aide d’instruments spécialisés. Le personnel à bord comprenait également le capitaine de l’embarcation, Benoit Cotton, de l’organisme de gestion de navires et équipements scientifiques REFORMAR, ainsi qu’une hydrographe, Natalie Pisciotto, du Centre interdisciplinaire de développement en cartographie des océans.
À terre, la coordonnatrice du projet était la professeure Sylvie Daniel, également du Département des sciences géomatiques. «Ces levés hydrographiques, explique-t-elle, s’inscrivent dans le projet de recherche Osirisk auquel participent une demi-douzaine de partenaires. Osirisk vise à modéliser les risques d’inondation, notamment à Québec, dans le but de les prévenir le plus rapidement possible. Les levés effectués ont permis d’obtenir une modélisation 3D du fond du fleuve à certains endroits.»
Le vendredi 25 novembre, au Grand Salon du pavillon Maurice-Pollack, la professeure Daniel et Willian Ney Cassol ont fait une présentation conjointe, dans le cadre de la Journée SIG du Département des sciences géomatiques, sur les sorties effectuées cet été sur le fleuve.
À bord d’une embarcation, la réalisation d’un levé hydrographique nécessite le recours au système de positionnement Global Navigation Satellite System, qui localise l’embarcation sur l’eau. Les autres technologies indispensables sont la centrale inertielle, qui mesure les nombreux mouvements du bateau, et le sondeur multifaisceaux, qui mesure la profondeur du plan d’eau, ainsi qu’une sonde de mesure de la vitesse du son dans l’eau.
La professeure Daniel rappelle qu’il y a énormément de mouvements sur l’eau. Quand une embarcation s’enfonce dans l’élément liquide, elle subit du tangage, du roulis. «On doit mesurer ces mouvements pour savoir dans quelle direction l’onde acoustique est émise, poursuit-elle. C’est le sondeur multifaisceaux qui émet l’onde acoustique en direction du fond. Elle y est réfléchie puis revient vers la surface en formant de petits faisceaux. Pour chacun d’eux, on va mesurer le temps de trajet aller-retour de l’onde acoustique qui va être converti en profondeur, connaissant la vitesse du son dans l’eau. On obtient un nuage de points. Pour chacun des points, on a une coordonnée 3D géoréférencée du positionnement du point d’impact de l’onde acoustique sur le fond.»
Elle ajoute que la vitesse du son dans l’eau varie selon la température, la salinité, la pression de l’eau, au fur et à mesure du changement des conditions de mer, ainsi que la présence ou l’absence de soleil, le vent et autres.
Une épave datant de 1955
Près de l’île d’Orléans, le Louis-Edmond-Hamelin s’est positionné à proximité de l’épave du brise-glace Lady Grey,reposant à environ 50 mètres de profondeur. Ce navire a coulé vers huit heures du soir, le 1er février 1955. Sa construction remontait au début du siècle. L’incident s’est produit alors que le navire portait secours à un traversier coincé dans un banc de glace en dérive en direction de l’île. Il faisait très froid, -36 degrés Celsius, et une épaisse brume recouvrait le fleuve. S’étant décoincé de la glace, le traversier, en raison de la mauvaise visibilité, est entré en collision avec le brise-glace. Celui-ci a pris l’eau, son équipage a évacué le navire et a pu être sauvé par les marins du traversier.
Willian Ney Cassol indique que ce qui est difficile en hydrographie, c’est qu’on ne voit pas où l’on est. À l’aveugle, on doit faire confiance aux systèmes. On écoute seulement. On ne voit pas ou on n’est pas certain de ce que l’on voit.
«Cette situation, dit-il, oblige à faire plusieurs tests statistiques. C’est pour ça que nous avons été quand même chanceux d’avoir l’épave. C’est un objet dont on connaît les dimensions. La précision de mon levé a permis de constater que mes mesures étaient très comparables à celles fournies par le constructeur, soit 56 mètres de long, 10 mètres de large et 12 mètres de haut. L’épave nous a donc permis de vérifier si nos systèmes étaient bien ajustés. Nous avons affiné la précision de l’intégration entre différents capteurs de données acquises. Si on ne l’avait pas fait, on aurait eu une erreur considérable, qui peut arriver à plus d’un mètre entre les différentes lignes d’acquisition.»
Face à Québec, au niveau du Quai de la reine, les chercheurs ont observé des structures sédimentaires faites de sable. Plus au sud, les petites dunes font environ 10 à 15 mètres de large et sont hautes d’environ 1,2 mètre. En avançant vers la ville, les dunes atteignent entre 50 et 60 mètres de large et ont une hauteur d’environ 2 mètres.
«Ce sont des structures vraiment actives qui représentent un danger à la navigation, affirme le conseiller en pédagogie universitaire. On a pu constater une migration. Les petites dunes se déplacent d’environ un mètre par jour. On n’a pas cette dynamique de migration dans les champs de dunes plus imposants. On a plutôt une dynamique d’érosion de production des sédiments, ceux-ci se mettant en suspension dans l’eau avant d’aller se déposer dans la dune suivante.»
Selon lui, il est important de connaître cette dynamique hydro-sédimentaire assez particulière. D’autant que, juste avant et juste après le champ de dunes, il y a un fond plat sans aucune structure sédimentaire. «Cette dynamique, souligne-t-il, mérite un peu plus d’attention pour comprendre les déplacements des sédiments, mais aussi l’intégration de ces structures dans les différents modèles, dont des modèles d’inondation.»