
«J'ai réglé mon syndrome de fatigue chronique.» «Je n'ai plus de problèmes de digestion.» «J'étais dépressive. Maintenant, j'ai plein d'énergie et je me sens bien.» Sur YouTube, les femmes véganes qui racontent les bienfaits de leur mode de vie sont légion.
Pour son mémoire de maîtrise en communication publique, Janie Perron a passé au peigne fin les 15 vidéos les plus populaires parmi celles intitulées My Vegan Story, un type de production dans laquelle des youtubeuses véganes partagent leur expérience. L'étudiante a croisé le contenu de ces vidéos avec les données scientifiques et les préoccupations et valeurs associées au véganisme, comme la santé, le bien-être animal et la préservation de l'environnement.
Sa recherche, qui figure au tableau d'honneur de la Faculté des études supérieures et postdoctorales, révèle certaines incohérences dans les discours des youtubeuses. À commencer par la question de la santé. Si plusieurs affirment s'être tournées vers le véganisme pour régler des problèmes de santé physique ou mentale, il s'avère qu'elles ont d'autres motivations. «C'est avant tout pour être minces que plusieurs youtubeuses se préoccupent d'améliorer leur santé, dit Janie Perron. En 2022, on sait que le poids n'est pas nécessairement un bon indicateur de santé, mais pour ces youtubeuses, ce l'est. Leur apparence corporelle témoigne de leur santé.»
Autre contradiction, cette fois sur la manière de s'alimenter: plusieurs recommandent de ne pas se restreindre lorsque vient le temps de remplir son assiette, mais découragent la consommation de certains aliments. Il s'agit de produits considérés «moins santé» comme le sucre raffiné ou l'huile. «Les youtubeuses disent qu'il est important de manger une diversité d'aliments, mais font une dichotomie entre ce qui est bon et ce qui est mauvais.» Ces restrictions autour de certains aliments qui ne sont pourtant pas d'origine animale ne correspondent pas aux préceptes du véganisme, ajoute Janie Perron.
Par ailleurs, la chercheuse a été surprise de constater qu'un thème central était absent du discours des youtubeuses: le fait de manger local. «Dans des régions nordiques comme le Québec, il peut être difficile d'avoir accès, tout au long de l'année, à un éventail de fruits et de légumes qui sont frais et locaux. Les youtubeuses ne mettent pas l'accent sur l'importance de manger local parce ça ne leur permettrait pas de promouvoir le véganisme.»
L'étudiante s'est aussi intéressée à la fiabilité des informations véhiculées. Encore là, elle a constaté des lacunes. «Ce n'est ni le bon sens ni la vérité scientifique qui importe pour plusieurs youtubeuses, comme elles le laissent entendre, mais plutôt la cohérence de leurs propos entourant la promotion du véganisme», écrit-elle.
Elle a remarqué que des youtubeuses se basent sur des spécialistes en santé dont l'expertise n'est pas pertinente par rapport au sujet dont il est question. D'autres citent des études controversées, qui comportent des lacunes statistiques ou méthodologiques ou encore qui ont été démenties par d'autres recherches. Tout cela même si elles font valoir l'importance de s'informer sur le véganisme et de consulter des sources scientifiques.
«Souvent, les youtubeuses utilisent comme exemples des documentaires-choc qui ne montrent qu'un seul côté de la médaille. Elles présentent des arguments qui sont en faveur de leur régime afin d'encourager leur communauté à adhérer au mode de vie végane. En abordant toutes les facettes d'une question, il peut être plus difficile de mobiliser les gens autour d'une cause.»
De son propre aveu, Janie Perron ne pensait pas relever autant de cas de mésinformation. «J'ai vu la pertinence de faire appel à des professionnels de la santé pour des sujets aussi complexes. Ma codirectrice de recherche [la professeure en nutrition Sophie Desroches] m'a dirigée vers des méta-analyses super pertinentes qui m'ont permis de considérer d'autres éléments importants», dit celle qui a aussi été encadrée par la professeure Manon Niquette, du Département d'information et de communication.
Bien s'informer pour faire les bons choix
Janie Perron visionne des vidéos de youtubeuses véganes depuis son adolescence. C'est d'ailleurs ce qui lui a donné l'envie de devenir végétarienne.
Elle met en garde celles et ceux qui se fient à ces vedettes du Web pour des questions touchant leur santé: «Il est important, à l'ère des contenus numériques, d'en prendre et d'en laisser. Cela ne signifie pas que tout ce que disent les youtubeuses est faux et que leur expérience n'est pas pertinente; on peut s'en inspirer, par exemple pour des recettes ou des choix d'aliments, mais avant d'opter pour un nouveau mode de vie, il vaut mieux consulter des professionnels de la santé ou consommer du contenu plus scientifique.»
Pour conclure, la chercheuse insiste sur l'importance d'avoir des modèles représentatifs qui ne glorifient pas la minceur et la perte de poids à tout prix. «Il y a une diversité de corps dans le mouvement végan. Pourtant, sur YouTube, on ne voit que des femmes minces. De plus en plus, avec des médias sociaux comme TikTok, on normalise des corps différents, mais je crois qu'il faut rappeler que le véganisme n'est pas un mode de vie basé sur la minceur. Du moins, ça ne devrait pas être une motivation.»