Bien que les lemmings occupent un rôle central dans la chaîne alimentaire terrestre de l'Arctique, leurs habitudes de vie sont encore largement méconnues. L'une des raisons à cela est que ces petits rongeurs passent la plus grande partie de l'année dans des tunnels qu'ils creusent dans le sol ou dans la neige, hors de la vue des chercheurs. Grâce à un collier photosensible ultraléger mis au point par une équipe du Centre d'études nordiques de l'Université Laval, les lemmings pourraient bientôt livrer une partie des secrets qui entourent leur emploi du temps pendant l'été.
En effet, David Bolduc et Pierre Legagneux, du Département de biologie, Dominique Fauteux, du Musée canadien de la nature, et Jean-Marie Trudeau et Éric Bharucha, de la Plateforme technologique de développement d'instruments de Sentinelle Nord de l'Université Laval, ont conçu et testé un collier photosensible pour lemmings qui détecte et enregistre leurs passages entre les tunnels et la surface de la toundra. «Dans l'Arctique, il fait jour continuellement pendant l'été. Lorsque le collier détecte une baisse subite de luminosité, c'est une indication que le lemming est entré dans un tunnel», explique l'étudiant-chercheur David Bolduc.
Le principal défi dans la mise au point d'un collier pour lemming est la miniaturisation, poursuit-il. «Pour le bien-être des animaux, on estime que le poids d'un collier ne doit pas dépasser 5% du poids de l'animal sur lequel on l'installe. Pour les grands mammifères, c'est un seuil facile à respecter. Dans le cas des lemmings, c'est plus difficile. Un lemming adulte pèse environ 40 grammes, de sorte que le collier ne doit pas peser plus de 2 grammes.»
L'équipe de l'Université Laval a réussi à faire encore mieux. Les composantes du collier – le microprocesseur avec mémoire, le photosenseur, l'horloge, les deux piles, le boîtier de plastique et l'attache en nylon – pèsent, au total, 1,59 gramme, soit moins qu'une pièce de 10 cents (1,75 gramme).
Les chercheurs ont effectué des tests sur des lemmings en captivité, en 2019, et sur le terrain, à l'île Bylot, en août 2021. Les résultats, publiés par la revue Animal Biotelemetry, montrent que le collier ne semble pas affecter la santé ou la survie des lemmings puisque les fluctuations de poids des animaux et la probabilité de recapture sont comparables à ceux de lemmings sans collier.
Pour le moment, les chercheurs doivent recapturer les lemmings pour récolter les données enregistrées en mémoire. «Nous arrivons à extraire les données de la moitié des colliers récupérés. C'est un aspect que nous devons améliorer. Il faut rendre le collier plus résistant aux conditions de terrain, constate David Bolduc. Nous envisageons aussi de recourir à la technologie Bluetooth pour récupérer les données sans avoir à recapturer les lemmings.»
Les informations sur les patrons d'activités des lemmings pourraient aider à mieux comprendre les causes des mystérieux cycles de 3 à 5 ans de ces petits mammifères. «Chez les lemmings, les femelles jouent un rôle clé dans les fluctuations de population parce que c'est leur nombre qui impose une limite au taux de reproduction, explique David Bolduc. Les colliers que nous avons développés vont nous permettre de comparer les patrons d'activités des mâles et des femelles, et d'estimer indirectement leur exposition aux prédateurs qui les chassent dans les tunnels ou à la surface de la toundra.»
Rappelons qu'une autre équipe du Département de biologie et de Sentinelle Nord a mis au point un système qui permet de suivre les activités des lemmings dans les tunnels qu'ils creusent sous la neige.