21 juillet 2022
Agroforesterie: plus de bleuets et un meilleur café grâce aux arbres Modif Thierry Admin
Intégrer des arbres aux cultures favorise la biodiversité, la santé des sols, la lutte contre les changements climatiques et la sécurité alimentaire, expose le professeur Alain Olivier
Au Lac-Saint-Jean, des producteurs plantent des arbres et des haies brise-vent dans leurs bleuetières. Cette culture dépend de la pollinisation et par grands vents, les abeilles sont moins actives. Protégées par la végétation, elles font leur travail plus efficacement. Plus au sud, sous les tropiques, intégrer des arbres d'ombre près des caféiers permet de tempérer l'air et de maintenir le rendement. Car s'il fait trop chaud, la productivité baisse, tout comme la qualité du café.
L'agroforesterie, soit l'interaction entre les arbres et les cultures, a ce genre de bienfaits, illustre le professeur Alain Olivier. La Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, à laquelle il appartient, et celle de Foresterie, de géographie et de géomatique organisaient le 5e Congrès mondial d'agroforesterie, qui se tenait à Québec du 17 au 20 juillet.
Réponse à de grands enjeux
Cette approche multidisciplinaire est une option intéressante pour répondre à plusieurs enjeux du monde rural, dit-il en entrevue, en marge de l'événement. La présence d'arbres sur les terres agricoles contribue à la santé des sols. Elle a aussi un impact positif sur la biodiversité. «Les systèmes agroforestiers sont plus diversifiés. On y retrouve les ennemis des ravageurs des cultures, ce qui permet de diminuer l'utilisation de pesticides, qui sont néfastes aux pollinisateurs», indique le professeur, aussi directeur du Groupe interdisciplinaire de recherche en agroforesterie.
Quand on pense à l'environnement, les arbres séquestrent beaucoup de carbone, mais les sols recouverts d'une litière de feuilles aussi. En plus d'atténuer les effets des changements climatiques, l'agroforesterie permet de s'y adapter, poursuit Alain Olivier. Les sols avec plus de matière organique conservent mieux l'eau, l'ombre générée par les arbres ralentit le processus d'évaporation, ce qui n'est pas négligeable en périodes de sécheresse.
Le professeur y voit aussi plusieurs bénéfices économiques et sociaux, notamment pour assurer une certaine sécurité alimentaire. «Dans les pays du sud en particulier, les arbres peuvent donner des fruits, des noix, des produits médicinaux, qui peuvent être des compléments importants pour les gens qui ont des problèmes d'accès à des vitamines et à des minéraux.»
L'agroforesterie peut également influencer l'occupation du territoire et la qualité du paysage. «Dans nos milieux ruraux, est-ce qu'on veut du maïs et du soja sur des milliers d'hectares, à perte de vue? Ce n'est pas le même visage que si l'on intègre des arbres. La qualité de vie, la relation comme habitant à ce paysage, n'est pas la même.»
Alain Olivier pousse plus loin la réflexion: «Est-ce qu'on privilégie de plus petites fermes, plus diversifiées, qui permettent à plus de familles d'être sur place, donc d'avoir plus d'enfants et de permettre de maintenir une école dans le village, une épicerie? Ou des systèmes où tout est conçu pour l'exportation par de grandes entreprises et où l'on finit par avoir des villages, des rangs qui se dépeuplent? Toutes ces questions peuvent être abordées en agroforesterie.»
Une pratique encore marginale
Où se situe le Québec en la matière? Il y a de plus en plus d'initiatives, répond le professeur Olivier. Il mentionne notamment les publications et les événements du Comité d'agroforesterie, chapeauté par le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec. «Mais ça reste encore marginal par rapport aux monocultures au Québec.»
Le Congrès mondial d'agroforesterie aura permis de mettre en lumière l'expérience d'agriculteurs dans les pays du Sud, qui ont développé traditionnellement des systèmes agroforestiers très perfectionnés. «Souvent, on ne mobilise pas cette connaissance, ces savoirs paysans et locaux, déplore Alain Olivier. On est trop habitués de fonctionner avec nos systèmes industriels, qui ont pourtant des impacts très négatifs sur les sols, sur la qualité de l'eau, sur la santé humaine, sur l'aménagement du territoire.»
Il fait ici référence à la «révolution verte», lancée il y a quelques décennies, qui avait pour objectif de nourrir la planète en s'appuyant sur les engrais chimiques, les pesticides et une machinerie assez imposante. Avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui.
L'Université Laval, pionnière
L'Université Laval fait figure de pionnière avec sa maîtrise en agroforesterie offerte depuis 25 ans, la seule au Canada et l'une des rares dans le monde, souligne le professeur Olivier. Une douzaine d'étudiants et de diplômés ont d'ailleurs présenté leurs recherches lors du congrès mondial, qui avait lieu au Centre des congrès de Québec. Une ancienne étudiante aux trois cycles, aujourd'hui en stage postdoctoral au Rwanda, a aussi participé à l'événement en organisant le déplacement de paysannes des tropiques pour venir rencontrer des chercheurs.
Cette expertise de l'Université Laval en agroforesterie fait partie des forces de l'établissement qui ont mené à une collaboration plus large avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, une entente en cours depuis 2017.
Du Congrès mondial d'agroforesterie, qui vient de se terminer, le professeur a aimé une réflexion à laquelle participait notamment la sénatrice Michèle Audette, adjointe au vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes et conseillère principale à la réconciliation et à l'éducation autochtone à l'Université Laval. Comment notre rapport à la nature influence-t-il les types de systèmes agricoles qu'on met en place et vice-versa? Alain Olivier a aussi retenu cette phrase, avec laquelle il conclut: «La nature peut très bien se passer de l'être humain pour survivre, mais l'inverse n'est pas vrai».