15 juin 2022
Qu'est-ce qui freine l'usage thérapeutique des champignons magiques en fin de vie?
Ce traitement serait efficace contre l'anxiété et la dépression. Des chercheurs veulent comprendre pourquoi on hésite à l'utiliser pour soulager la détresse existentielle des personnes en fin de vie.
Apprendre qu'on est atteint d'une maladie incurable et que notre temps est compté est une source d'anxiété dont on peut à peine imaginer l'ampleur. Une bonne partie des personnes qui se retrouvent dans cette situation et qui ne répondent pas aux anxiolytiques, aux antidépresseurs ou à la psychothérapie sont confrontées à un désespoir qui empoisonne la fin de leur existence. Il y aurait pourtant une autre solution, mais le Canada hésite à s'aventurer dans cette voie.
«Des études ont montré qu'un seul traitement par psilocybine, l'ingrédient actif des champignons magiques, combiné à la psychothérapie, produit des effets anxiolytiques et antidépresseurs rapides, robustes et durables chez des patients souffrant d'anxiété ou de détresse psychologique», souligne Michel Dorval, professeur à la Faculté de pharmacie de l'Université Laval et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval.
Présentement, la loi canadienne interdit la production, la vente ou la possession de psilocybine, à moins d'obtenir une exemption de Santé Canada pour raisons médicales ou scientifiques. «Depuis janvier 2022, un médecin peut faire une demande d'exemption au nom d'un patient, souligne le professeur Dorval. Il faut toutefois qu'il démontre que tous les autres traitements existants ont échoué et qu'il y a situation d'urgence. Jusqu'à présent, plusieurs centaines de demandes d'exemption auraient été faites à Santé Canada, mais très peu de patients ont pu accéder à ce traitement.»
Que faudrait-il pour que ce traitement soit acceptable aux yeux de la population et des professionnels de la santé et pour qu'on puisse en faciliter l'accès aux personnes en fin de vie qui souffrent de détresse existentielle? C'est ce que veut déterminer l'équipe de recherche dirigée le professeur Dorval et par Jean-Sébastien Fallu, de l'Université de Montréal. Cette équipe, qui réunit huit chercheurs de l'Université Laval, de l'Université de Montréal, de l’Université McGill et de l'Université du Québec à Rimouski, ainsi que des patients partenaires et des citoyens partenaires, vient d'obtenir un soutien financier du programme Audace des Fonds de recherche du Québec pour explorer la question.
Au cours des prochains mois, les chercheurs mèneront une enquête en ligne auprès de 1000 adultes québécois pour cerner leurs croyances, leurs connaissances et leurs attitudes à l'égard de l'utilisation thérapeutique des champignons magiques en fin de vie. «Comme ce traitement est encore méconnu, nous allons formuler les questions sous forme de mises en situation», précise le professeur Dorval.
Par ailleurs, les chercheurs vont rencontrer des professionnels de la santé impliqués dans l'accompagnement des personnes en fin de vie afin d'identifier les défis et les obstacles potentiels qui pourraient nuire à l'acceptabilité et freiner l'accès aux traitements faisant appel à la psilocybine. À partir des données recueillies, les chercheurs vont rédiger un questionnaire destiné à une enquête qui sera menée auprès des professionnels de la santé qui offrent des soins de fin de vie dans tous les milieux et dans toutes les régions du Québec.
«D'ici la fin de 2023, nous espérons être en mesure de formuler des recommandations qui baliseront le recours sécuritaire à la psilocybine dans un cadre thérapeutique, souligne le professeur Dorval. Ces recommandations, destinées aux décideurs, tiendront compte des perceptions du public et des professionnels de la santé, de l'autonomie des patients et du contexte médico-légal.»
Michel Dorval ne veut pas créer de faux espoirs. «La psilocybine n'est pas pour tout le monde, mais elle peut aider certains patients dans certaines circonstances. Présentement, il y a une résistance politique qui empêche des patients désespérés de bénéficier de ce traitement. Quand je vois des personnes en fin de vie qui souffrent de détresse existentielle et qui doivent attendre des mois pour obtenir une exemption de Santé Canada, ça me touche comme être humain et ça m'interpelle comme chercheur.»