
Marcel Babin a présenté de magnifiques images du brise-glace de recherche NGCC Amundsen.
— Amundsen Science
Le Musée de la civilisation accueillait le congrès de l'Acfas, le mardi 10 mai, pour une soirée de conférences sur l'environnement nordique. Et comment ça se passe, au nord? «Les ours polaires sont devenus bipolaires», a lancé le président d'honneur du congrès, Boucar Diouf, à mi-chemin entre l'humour et la sonnette d'alarme.
Les invités se sont succédé en trois temps sur scène. Marcel Babin, directeur scientifique et président-directeur général d’Amundsen Science, lauréat de la Chaire d'excellence en recherche du Canada sur la télédétection de la nouvelle frontière arctique du Canada et leader de l’Unité mixte internationale Takuvik (Université Laval et CNRS), a ouvert le bal pour parler de la banquise dans tous ses états et faire un tour de la glace.

Les conférenciers de la soirée, de gauche à droite, Normand Voyer, Pierre Ayotte (derrière), Marie-Josée Gauthier, Marcel Babin et Boucar Diouf.
— Dany Vachon
Vrai qu'en Arctique, la banquise diminue en épaisseur et en étendue, comme le rapportait ULaval nouvelles en novembre. Ce qui n'est pas sans conséquence sur la vie des ours polaires et des phoques, à qui elle sert de support.
Elle laisse aussi passer plus de lumière, ce qui perturbe les microalgues, à la base de la chaîne alimentaire. Comment tout ça va évoluer et affecter l'écosystème? Pour le savoir, il faut continuer de faire le plein de connaissances, d'où l'importance du NGCC Amundsen, seul brise-glace de recherche canadien, plaide Marcel Babin.
Sur le terrain, ou plutôt la banquise, les chercheurs n'hésitent pas à se mouiller, à plonger, à utiliser le canot à glace, aussi bien qu'un outil sous-marin «hyperfragile» rempli de technologies, qui rend nerveux tout l'équipage.

Le Musée a accueilli pour quelques jours la première exposition d'équipements scientifiques utilisés à bord du NGCC Amundsen. Un aperçu lors de la soirée de conférences.
— Dany Vachon
Comment vont les Nunavimmiuts?
On a ensuite appris que l'Amundsen a été converti en clinique flottante, en 2017, pour permettre la dernière enquête de santé du Nunavik, intitulée Qanuilirpitaa? (Comment allons-nous maintenant?). Il s'agit de la troisième enquête d'envergure depuis 1992 sur ce territoire québécois qui compte environ 12 000 habitants dans 14 communautés côtières au nord du 55ᵉ parallèle. La colonisation du Nunavik au milieu du 20e siècle a provoqué de profonds changements dans le mode de vie des Inuits, notamment en forçant leur sédentarisation.

Le Nunavik compte environ 12 000 habitants dans 14 communautés côtières au nord du 55ᵉ parallèle.
— G. Bédard
Pierre Ayotte, professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval et codirecteur scientifique de Qanuilirpitaa? 2017, a pris le micro pour évoquer des statistiques parfois encourageantes, souvent troublantes. Voici quelques données en vrac.
Si 99% des participants se disent fiers d'être Inuits, 42% ont vécu de la discrimination. Le surpeuplement des logements a diminué depuis l'enquête de 2004, mais un tiers des répondants le vivent encore. Bonne nouvelle, les jeunes consomment plus fréquemment des aliments traditionnels (caribou, poisson, petits fruits) que les gens plus âgés, mais leur consommation de boissons sucrées est élevée et préoccupante. Par ailleurs, 78% des personnes sondées souffrent d'insécurité alimentaire, comparativement à 13% dans le reste du Canada. Près de la moitié rapporte avoir un salaire annuel sous les 20 000$.
Belle amélioration, l'anémie chez les femmes a diminué de moitié depuis 2004. Du côté de la santé mentale, 40% montrent des signes dépressifs et 20% des jeunes de 16 à 30 ans ont eu des idées suicidaires. Plus des trois quarts des Nunavimmiuts ont vécu des expériences de violence, de négligences ou de stress familiaux durant l'enfance. Néanmoins, 81% se disent satisfaits de leur vie.
Alors que 72% fument quotidiennement et 32% consomment du cannabis, les symptômes respiratoires sont fréquents chez les jeunes. Le diabète est stable, mais l'obésité et l'hypertension sont en progression.
Pierre Ayotte souligne que l'accès à l'eau potable au Nunavik est une question problématique, qui n'a toutefois pas été étudiée durant l'enquête.
«Ce sont des statistiques de pays en développement, dans un pays développé. C'est malheureux que ces populations soient délaissées», a laissé tomber le professeur, provoquant les applaudissements.
Avis aux intéressés, un documentaire de 45 minutes filmé à bord de l'Amundsen durant cette collecte de données a été diffusé sur CBC, a mentionné Marie-Josée Gauthier, de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, également présente lors de la conférence. Le prochain coup de sonde sur la santé des Inuits aura lieu en 2023.
Aller au bat pour les sciences

Boucar Diouf, président d'honneur du 89ᵉ congrès de l'Acfas
— Dany Vachon
En dernière partie, Normand Voyer, professeur de chimie à la Faculté des sciences et de génie de l'Université Laval, a parlé de l'adaptation avec son ami Boucar Diouf. Pour rester dans le thème de la nordicité, l'humoriste a notamment vanté les mécanismes de résistance au froid de l'éperlan arc-en-ciel, sa spécialité quand il était biologiste. «Ils produisent des protéines antigel.»
Normand Voyer a poursuivi en évoquant la coccinelle asiatique, qui a trouvé un autre moyen de survivre au Québec. «Elle bourre son corps de tréhalose, qui empêche les cristaux de glace de se former et de la faire littéralement exploser.»
Pourquoi étudier tout ça? Parce que l’utilisation des protéines antigel de poisson, par exemple, permet de protéger les récoltes du froid. Si cette application n'est pas encore très répandue, leur utilisation est plus courante en agroalimentaire, pour empêcher la formation de cristaux de glace dans les yogourts et les crèmes glacées. Preuves de l’importance de la recherche fondamentale.
La soirée s’est terminée avec un hommage spontané de Boucar Diouf au professeur Normand Voyer, aussi vulgarisateur connu du public québécois. «La pénombre est revenue depuis l’élection de Trump. Des gens s’insurgent complètement contre la science, et pour défaire ça, il faut aller au bat plus souvent. Ce que tu fais est exceptionnel, tu donnes le goût aux jeunes de faire des sciences. Les chercheurs ont peur d’aller au bat, mais c’est un travail absolument nécessaire, autant que de publier un article scientifique.»

Normand Voyer, chimiste et professeur titulaire à l’Université Laval
— Dany Vachon