Contrairement à une idée répandue, les différences homme-femme dans la perception de la douleur ne sont pas subjectives. Une étude publiée le 23 mars dans la revue Brain par des chercheurs de l'Université Carleton et de l'Université Laval en apporte une preuve tangible. Les travaux de cette équipe révèlent que les mécanismes neuronaux qui conduisent à la douleur inflammatoire chronique ne sont pas les mêmes chez l'homme et chez la femme.
«On sait depuis longtemps que la prévalence des douleurs chroniques est plus élevée chez la femme, rappelle l'un des responsables de l'étude, Yves De Koninck, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche CERVO de l'Université Laval. Par exemple, les femmes représentent environ 90% des cas de fibromyalgie. Elles sont aussi deux fois plus nombreuses à souffrir de maux de tête et de migraines. On sait également qu'elles ont une plus grande sensibilité aux stimuli mécaniques, thermiques, électriques et chimiques. Étrangement, les recherches semblent avoir longtemps fait abstraction de ces différences sexuelles.»
En effet, la grande majorité des études qui ont exploré les causes neuronales de la douleur n'ont pas porté une attention particulière aux femmes, constate le professeur De Koninck. «Chez l'animal, les études ont surtout été réalisées chez des mâles. Quant aux études humaines, elles ont trop souvent amalgamé indistinctement les sujets masculins et féminins.»
L'équipe du professeur De Koninck et celle du professeur Michael Hildebrand, de l'Université Carleton, ont mis la main à la pâte pour corriger cette lacune en étudiant les mécanismes neuronaux sous-jacents aux douleurs inflammatoires chroniques. Pour ce faire, ils ont utilisé des tissus de moelle épinière prélevés chez 10 femmes et 12 hommes après leur décès, ainsi que des rats mâles et des rats femelles, qu'ils ont mis en présence de BDNF, une protéine qui accroît la sensibilité à la douleur.
Résultats? Le BDNF a stimulé les mécanismes menant à une hypersensibilité dans les tissus humains masculins et chez les rats mâles, mais pas ceux des tissus humains féminins ni des rats femelles. «Nous avons fait les mêmes expériences sur des souris femelles qui ne produisaient plus d'hormones sexuelles à la suite d'une résection des ovaires. Chez ces femelles, le BDNF a alors produit les mêmes effets que chez les mâles», souligne Yves De Koninck.
Une autre étude publiée la semaine dernière dans le Journal of Neuroscience par l'équipe du professeur De Koninck et celle de Theodore Price, de l'Université du Texas, a mis en lumière une autre différence sexuelle liée à la douleur chez la souris et le rat. Cette fois, les chercheurs se sont penchés sur un peptide, le CGRP, impliqué dans la migraine.
«Nos expériences ont montré que ce peptide exacerbe la douleur chez les femelles, mais pas chez les mâles. Cela pourrait expliquer pourquoi la prévalence des maux de tête et des migraines est plus élevée chez la femme», avance le professeur De Koninck.
Outre leur importance pour la compréhension des phénomènes fondamentaux conduisant aux douleurs chroniques, les résultats de ces études livrent deux messages importants, estime le chercheur.
«Le premier message est qu'au moment de la conception de nos expériences, il faut garder à l'esprit qu'il peut y avoir des différences entre les sexes. Cela signifie, entre autres, prévoir suffisamment de sujets de chaque sexe pour être en mesure de détecter ces différences.»
«Le second message est que la recherche de nouveaux traitements contre la douleur doit viser des rouages qui sont communs aux deux sexes. S'il n'en existe pas, il faut trouver des cibles efficaces pour chaque sexe et développer des traitements adaptés.»