Les énergies fossiles que sont le pétrole, le gaz naturel et le charbon ont façonné le monde moderne en alimentant la croissance économique de la plupart des pays. Leur utilisation a toutefois un revers: le climat est aujourd’hui bouleversé à l’échelle mondiale en raison des gaz à effet de serre produits de façon massive par l’utilisation de ces mêmes énergies fossiles.
«Nous sommes à l’aube d’une transition énergétique majeure, affirme le professeur Alexandre Gajevic Sayegh, du Département de science politique. Mais sera-t-elle assez rapide pour neutraliser les changements climatiques? Quels seront les impacts sociaux de la déstabilisation de l’économie fossile? Et le Québec et le Canada, seront-ils prêts pour la transition?»
Les réponses à ces questions se trouvent dans le cours Transition énergétique: éthique, politique et économie donné par le professeur. Cette formation de trois heures par semaine est offerte depuis le mois de janvier par le Département de science politique. Elle est ouverte à tous les étudiants inscrits aux cycles supérieurs de l’Université Laval. Elle se déroule à distance et en mode hybride.
«Les réactions des étudiants me laissent vraiment croire qu’il était grand temps que je crée ce cours, souligne-t-il. Ils sont très engagés, informés et enthousiastes. Nous avons plusieurs discussions dirigées par cours. Celles-ci sont toujours vraiment animées. Souvent, leurs questions anticipent des éléments du cours qui va suivre. Ça prouve que leur esprit est aiguisé.»
Selon lui, la transition est en marche. «Les marchés de l’énergie sont en transition, explique-t-il, et la transition énergétique sera l’un des plus grands enjeux du 21e siècle. Les énergies renouvelables sont en voie de changer la manière selon laquelle nos économies sont alimentées. Le pétrole et le gaz naturel devront graduellement presque entièrement disparaître d’ici 2050, avec une réduction marquée de leur exploitation et consommation d’ici 2030. L’électrification des transports nous conduira vers des manières plus rationnelles de nous déplacer. Nos économies et sociétés doivent apprendre à devenir plus résilientes aux changements climatiques et aussi aux changements dans les marchés de l’énergie.»
Le Danemark, un modèle
Au fil des générations, les énergies fossiles ont représenté pour les ménages une source constante et fiable d’énergie. Entre 1900 et 1970, les prix du pétrole ont été très bas et stables. Mais cette stabilité a créé une dépendance à cette source d’énergie par ailleurs polluante.
Deux crises pétrolières ont marqué les années 1970. Elles ont fait prendre conscience de la dépendance des économies nationales au pétrole. L’intérêt pour des sources d’énergie alternatives remonte à cette époque, notamment pour l’éolien et le solaire.
«Des pays comme l’Allemagne, le Danemark et les États-Unis ont fait de gros investissements dans les énergies renouvelables, rappelle Alexandre Gajevic Sayegh. Ils étaient très dépendants du pétrole étranger. La France, elle, s’est plutôt tournée vers l’énergie nucléaire. Dans les années 1980, pour une question d’idéologie politique et de force économique, les Américains se sont retirés de cette filière pour y revenir après l’an 2000. Aujourd’hui, l’énergie renouvelable produite aux États-Unis répond à 10% des besoins en énergie. Au Danemark, le solaire et l’éolien répondent à plus de 40% des besoins énergétiques.»
L’exemple américain est notable. En 2018, les trois quarts des centrales au charbon dans ce pays coûtaient plus cher à faire fonctionner qu’à aménager de nouveaux parcs éoliens. «Aux États-Unis, poursuit-il, les énergies renouvelables sont en train de battre les énergies fossiles sur la base du prix. Elles coûtent même moins cher que l’hydroélectricité.»
En 2019, le charbon fournissait 36,3% de la production d’électricité à l’échelle mondiale, le gaz naturel 23%, les centrales hydroélectriques 15%, l’éolien 5,3% et le solaire 2,7%. Les énergies renouvelables modernes, excluant l’hydroélectricité, représentaient donc environ 8% de la production mondiale d’électricité. «Défiant pas mal toutes les projections, indique le professeur, la production mondiale d’électricité par l’éolien et le solaire a connu une montée remarquable ces 20 dernières années.»
Durant son cours, ce dernier couvre en détail les cas de chefs de file comme le Danemark et l’Allemagne, mais aussi le Costa Rica, le Bhutan, le Maroc et la Gambie. «L’Inde est maintenant aussi à l’avant-garde avec son récent engagement pour l’énergie solaire, ajoute-t-il. Et l’on peut dire que l’Union européenne dans son ensemble fait preuve de leadership. Quant à la bataille pour l’opinion publique au Canada, elle est généralement gagnée au Québec. Au pays, l'appui existe, mais doit être davantage consolidé.»
Une décarbonisation à accélérer
Selon Alexandre Gajevic Sayegh, la transition doit être considérablement accélérée pour assurer le succès de la lutte climatique. «Cela, dit-il, implique nécessairement que les marchés de l’énergie et les politiques climatiques doivent évoluer dans le même sens.»
Quels changements structurels sont-ils nécessaires pour rejoindre les cibles rigoureuses de l’Accord de Paris? «Les principaux changements nécessaires, répond-il, sont déclarer la fin du charbon, diminuer de façon progressive l’exploitation du pétrole et du gaz, développer massivement les énergies propres, électrifier les transports, viser une meilleure productivité énergétique, rénover et construire les bâtiments dans un esprit vert, protéger les milieux naturels, mettre fin au gaspillage alimentaire, avoir une alimentation en plus grand pourcentage à base de plantes, mettre fin à l’obsolescence programmée, promouvoir les politiques familiales et l’éducation des femmes à travers le monde.»
De nombreuses politiques doivent accompagner ces objectifs, comme les standards sur le méthane et la fin de la vente des voitures à essence. Surtout, il faut reconnaître que la gouvernance des changements climatiques doit s'intégrer à tous les niveaux, du gouvernement jusqu’aux mouvements citoyens.
À quel point l’économie fossile sera-t-elle déstabilisée? «Les secteurs de l’extraction pétrolière et gazière, de l’électricité, des transports, de la construction et de l’industrie seront transformés, soutient-il. La transition énergétique va créer beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en coûtera. Or, pour que cela arrive, les gouvernements fédéraux, provinciaux, les administrations municipales et les investisseurs institutionnels doivent envoyer un signal clair aux marchés que nous sommes prêts à accueillir et encourager cette transition. Les opportunités d’investissements et de rendements pour les entreprises québécoises canadiennes seront nombreuses, si ce tournant est pris maintenant. Les consommateurs vont devoir comprendre qu’ils devront se tourner vers des produits et des habitudes à faible intensité carbone.»
La lenteur de la transition, en Amérique du Nord, est due en grande partie au rôle des agents économiques, en particulier de l’industrie pétrolière. «Dans le passé, rappelle le professeur, l’administration Reagan a aussi refusé de soutenir le développement des énergies renouvelables aux États-Unis. On a également vu que les contributions des lobbys fossiles aux campagnes de financement républicaines ont été constantes depuis 1998, mais la polarisation du débat aux États-Unis date des années 1980. Au Canada, le rôle des leaders politiques qui contribuent à la désinformation au sujet des politiques climatiques, comme certains politiciens conservateurs avec la tarification du carbone, a aussi un impact notable sur l’acceptabilité sociale de la transition énergétique.»