
Les chercheurs ont installé des puces électroniques sur 93 ouvrières qui venaient tout juste d'émerger, ce qui leur a permis d'enregistrer leurs entrées et sorties de la ruche. Ils ont ainsi établi que la longévité des abeilles exposées aux néonicotinoïdes pendant leur vie larvaire était réduite de 23%.
— Amro Zayed
En 2014, la professeure Fournier, le professionnel de recherche Olivier Samson-Robert et l'équipe du professeur Amro Zayed ont étudié 25 colonies d'abeilles installées à moins de 500 m d'un champ de maïs contenant des néonicotinoïdes et 25 colonies situées à plus de 3 km de tels champs. Rappelons que ces insecticides se trouvent au départ dans l'enrobage des semences de maïs. À mesure que la plante croît, ils se répandent dans tous ses tissus, notamment dans le nectar et les grains de pollen dont se nourrissent les abeilles.
Comme prévu, les chercheurs ont découvert que les abeilles et les réserves de nourriture des colonies situées près des champs de maïs traités étaient davantage exposées aux néonicotinoïdes que celles des colonies installées à distance. Étonnamment, la principale source de cette exposition n'est pas le pollen de maïs, mais plutôt celui de plantes sauvages telles que les saules, les trèfles et le nerprun. «Au moment des semis, une partie des néonicotinoïdes est mise en suspension sous forme de poussières, qui se déposent ensuite dans l'eau ou dans le sol, explique Valérie Fournier. Les abeilles sont exposées à ces insecticides lorsqu'elles butinent les fleurs de plantes qui en ont absorbés ou lorsqu'elles boivent dans les flaques d'eau contaminées. On peut supposer que les pollinisateurs indigènes sont, eux aussi, exposés à ces produits.»
En 2015, les chercheurs ont réalisé une expérience de 12 semaines dans des installations intérieures. Pendant cette période, ils ont fourni à 4 colonies d'abeilles du pollen contenant un néonicotinoïde à des doses reflétant celles mesurées sur le terrain durant l'été 2014. De plus, ils ont installé des puces électroniques sur 93 ouvrières qui venaient tout juste d'émerger, ce qui leur a permis d'enregistrer leurs entrées et sorties de la ruche. Les données recueillies par les chercheurs montrent que la longévité des ouvrières exposées pendant les neuf premiers jours de leur vie larvaire au pollen contenant des néonicotinoïdes était réduite de 23% par rapport à celle des ouvrières d'un groupe témoin.
Les chercheurs ont aussi observé une diminution du comportement hygiénique dans les colonies exposées à l'insecticide. À la fin du suivi de 12 semaines, ce comportement, qui consiste à repérer les larves malades ou mortes et à les éliminer de la ruche de façon à protéger la colonie contre les infections et les parasites, était deux fois moins fréquent dans les colonies exposées à l'insecticide. Enfin, au terme de l'expérience, le pourcentage de colonies sans reine était deux fois plus élevé dans les colonies exposées au néonicotinoïde.
«Nos résultats démontrent qu'une exposition réaliste aux néonicotinoïdes peut affecter la santé des abeilles dans les régions où on cultive le maïs, résume la professeure Fournier. Les apiculteurs auraient donc tout intérêt à éloigner leurs ruches des champs de maïs contenant ces insecticides. En pratique toutefois, il est difficile d'y arriver parce que le maïs est cultivé intensivement dans tout le sud du Québec et que la presque totalité des semences de maïs est maintenant enrobée de néonicotinoïdes.»
Considérant la liste grandissante des impacts environnementaux de ces insecticides, il y aurait lieu de reconsidérer leur usage, estime la chercheuse. «Au Québec, il est rare que les insectes ravageurs ciblés par les néonicotinoïdes causent des dommages importants aux cultures de maïs. Comme ces pertes sont tolérables et que les insecticides ne devraient être utilisés qu'en dernier recours, il faudrait au moins que les producteurs puissent avoir accès plus facilement à des semences de maïs exemptes de néonicotinoïdes.»
Cette étude constitue un nouvel élément versé par des chercheurs de l'Université Laval au dossier néonicotinoïdes-abeilles. En février dernier, le professeur Nicolas Derome, du Département de biologie, et ses collaborateurs livraient des conclusions similaires dans une étude publiée dans le Journal of Applied Entomology. Leurs travaux révélaient que les colonies installées à proximité de champs de maïs contenant des néonicotinoïdes avaient un taux de mortalité deux fois plus élevé que les colonies placées près de champs qui en étaient exempts. Elles étaient également plus durement frappées par Varroa destructor, un acarien qui s'attaque aux larves et aux adultes.

Les abeilles sont exposées aux néonicotinoïdes lorsqu'elles butinent les fleurs des plantes qui en ont absorbés ou lorsqu'elles boivent dans les flaques d'eau contaminées.
Photo: Jon Sullivan