Pour arriver à cette estimation, Myriam Cadotte est littéralement allée au fond des choses: elle a analysé le contenu de fécès prélevées à l'extrémité du système digestif de 144 cerfs abattus par des chasseurs à l'automne en 2014 et en 2015 sur l'île d'Anticosti. «Ces fécès contiennent les restes de ce que les cerfs ont mangé dans les 24 à 48 heures précédentes», a-t-elle expliqué lors du séminaire de maîtrise qu'elle a présenté sur le campus le 21 avril. Pour déterminer quelles espèces de champignons avaient figuré au menu des cerfs pendant cette période, l'étudiante-chercheuse a extrait l'ADN fongique présent dans les fécès, elle l'a amplifié en recourant à une réaction en chaîne par polymérase (PCR), puis elle a comparé certaines séquences à des séquences d'ADN cataloguées par espèce dans des bases de données génomiques.
Ses analyses ont révélé la présence de près de 5 000 espèces de champignons dans les fécès des cerfs. «La moitié de ces espèces sont des champignons microscopiques qui sont ingérés indirectement, notamment parce qu'ils se retrouvent sur les plantes consommées par les cerfs, précise-t-elle. Sur les 2 184 espèces macroscopiques que nous avons détectées, 583 sont suffisamment abondantes dans les fécès pour conclure qu'elles sont consommées directement par les cerfs. Il s'agit d'un minimum puisque nos données ne couvrent que les champignons dont la fructification a lieu à l'automne.»
Les champignons sont une ressource alimentaire très intéressante pour les cerfs, signale Myriam Cadotte. Ils constituent une bonne source de phosphore et ils contiennent un taux élevé de protéines, comparativement aux autres plantes dont se nourrissent les cerfs sur l'île d'Anticosti. «Ce taux peut dépasser 35% chez certaines espèces de champignons, alors qu'il se situe généralement entre 12% et 18% chez les autres végétaux.»
L'étudiante-chercheuse n'écarte pas la possibilité que cette ressource alimentaire soit plus importante à l'île d'Anticosti qu'ailleurs en raison de la densité élevée des cerfs, qui atteint maintenant 22 têtes / km2, et de la rareté de la nourriture de qualité qu'ils y trouvent. «Nos observations sur le terrain suggèrent que les champignons sont activement recherchés et très prisés par les cerfs de l'île d'Anticosti. Là où se trouvaient des talles de champignons, on ne voit souvent que des restes de pieds broutés, entourés de beaucoup de fécès.»
Quant à savoir si certaines espèces de champignons sont toxiques pour les cerfs, la réponse serait oui, suggère une expérience impromptue réalisée par l'étudiante-chercheuse. «Nous avons présenté quelques espèces de champignons récoltés sur le terrain à un cerf qui s'était aventuré dans Port-Menier. Il a mangé avidement une russule, un lactaire, un sarcodon, un polypore tomenteux et un champignon hypogé. Par contre, il a rejeté instinctivement un entolome, probablement parce qu'il s'agissait d'une espèce toxique.»
La lépiote crêtée (Lepiota cristata) est l'une des nombreuses espèces de champignons dont se régale le cerf sur l'île d'Anticosti.
Photo: Herman Lambert