
L'un des projets élaborés par Mélanie Lemire, Purple Tongue, vise à faire connaître les petits fruits du Nunavik aux jeunes Inuits. Ceux-ci sont invités à cueillir des baies sauvages et à les utiliser dans la fabrication de rouleaux de fruits, de sorbets et de barres granola, afin de profiter de leurs vertus nutritives à longueur d'année.
— Alain Cuerrier
Ce n'est pas un hasard si le terme «santé nordique», qui figure dans le nom de la Chaire, peut faire référence à la santé des personnes vivant dans le Nord ou à la santé du milieu nordique. «Les personnes et les écosystèmes dans lesquels elles vivent sont intimement liés et ils s'influencent mutuellement, ce qui conduit à des problèmes pour lesquels il n'existe pas de solutions simples, rappelle Mélanie Lemire. C'est justement l'essence des travaux de la Chaire.»
La chercheuse s'est initiée à la santé environnementale au cours de ses études de maîtrise et de doctorat menées à l'UQAM. En 2003, elle se rend pour la première fois en Amazonie brésilienne pour étudier, au sein d'une équipe interdisciplinaire, l'exposition au mercure chez des populations riveraines qui consomment beaucoup de poissons. Dans cette région du monde, la présence de ce polluant dans l'environnement est liée à la déforestation. Le mercure se retrouve dans le milieu aquatique, s'accumule dans la chair des poissons prédateurs, et les personnes qui s'en nourrissent ingèrent ce contaminant, qui peut perturber le fonctionnement du système nerveux et du système cardiovasculaire. Les travaux de Mélanie Lemire ont révélé que la consommation de sélénium, provenant également d'aliments locaux, entre autres les noix du Brésil, pourrait contrecarrer les effets néfastes du mercure sur la santé.
En 2010, pour les besoins de ses travaux de postdoctorat à l'Université Laval, la chercheuse met le pied pour la première fois au Nunavik. Elle constate aussitôt que la situation des Inuits présente de nombreuses similarités avec ce qu'elle a observé en Amazonie. Ces populations consomment des aliments locaux qui ont des bienfaits sur la santé et qui ont une grande importance culturelle. En raison du transport sur de longues distances de polluants et de leur bioaccumulation, certains aliments locaux peuvent toutefois comporter des risques pour la santé humaine. Et tout ceci survient dans un contexte complexe de changements environnementaux, alimentaires, sociaux et culturels. «La Chaire et ses partenaires autochtones participeront à la recherche de solutions pour diminuer l'exposition à ces contaminants tout en faisant la promotion des aliments locaux, qui sont de qualité exceptionnelle», résume Mélanie Lemire.
Au cours des prochaines années, la Chaire poursuivra les travaux menés depuis plus de 20 ans dans le Nord québécois par le groupe Santé mondiale et environnementale du CHU de Québec-Université Laval. Les projets porteront notamment sur les interactions sélénium-mercure dans l'alimentation locale et la biosurveillance de l'exposition à certains contaminants environnementaux chez les populations inuites et les Premières Nations. De plus, la deuxième phase de la vaste enquête sur la santé des Inuits «Qanuilirpitaa – Comment allons-nous maintenant?» sera réalisée en 2017.
La titulaire de la Chaire, également rattachée au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, entend porter une attention particulière au partage des résultats de recherche avec les communautés. «Je suis une chercheuse de terrain et j'aime le contact avec les gens. C'est tellement valorisant de présenter les résultats aux membres des communautés et d'en discuter avec eux. J'ai l'impression de contribuer, à ma mesure, à faire de la science utile pour leur quotidien.»
Pendant sa formation en recherche, Mélanie Lemire a eu deux mentors, qui l'ont beaucoup marquée: Donna Mergler, qui a dirigé ses travaux de maîtrise et de doctorat à l'UQAM, et Éric Dewailly, avec qui elle a travaillé pendant son postdoctorat à l'Université Laval. Les deux lui ont appris une chose: pour que la recherche en santé environnementale ait un sens, elle doit être au service des communautés. Le décès soudain d'Éric Dewailly, en 2014, a été un choc pour elle. «Il avait commencé à développer un projet de chaire pour consolider l'équipe de recherche en santé nordique de l'Université Laval. La création de la Chaire Nasivvik me donne la chance inestimable de réaliser quelque chose qui me tient beaucoup à coeur: poursuivre ce qu'Éric avait entrepris tout en y mettant ma touche personnelle.»
La Chaire Nasivvik dispose d'un budget de démarrage de 860 000$ sur cinq ans. Cette somme provient du réseau de centres d'excellence du Canada ArcticNet et du ministère des Affaires autochtones et du Nord du Canada. «Cette chaire s'arrime parfaitement aux orientations universitaires et facultaires en matière de santé durable et de responsabilité sociale, souligne Éric Bauce, vice-recteur exécutif et au développement de l'Université Laval. Elle permettra d'assurer la pérennité des domaines de la santé environnementale et de la santé autochtone, notamment en augmentant le nombre d'étudiants et de chercheurs.»
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La titulaire de la Chaire de recherche Nasivvik en approches écosystémiques de la santé nordique, Mélanie Lemire (quatrième à partir de la gauche), est entourée des dignitaires présents à la cérémonie de lancement de la Chaire (de gauche à droite): Rénald Bergeron, doyen de la Faculté de médecine, Ellen Avard, directrice du Centre de recherche du Nunavik, Éric Bauce, vice-recteur exécutif et au développement de l'Université Laval, Sarah Kalhok Bourque, directrice par intérim, Direction de la recherche sur les sciences nordiques et les contaminants, Affaires autochtones et du Nord Canada, et Martin Fortier, directeur exécutif sortant d'ArcticNet.
— Photo: Marc Robitaille