
Cette photo, prise en 1952 en Californie, rappelle que des étages complets d'hôpitaux étaient occupés par des enfants frappés par la polio. Lorsque les muscles respiratoires étaient atteints, les malades devaient être placés dans un poumon d'acier.
Les controverses sur les vaccins sont aussi vieilles que les vaccins eux-mêmes, ont constaté les auteures de l'étude, Ève Dubé, professeure à la Faculté de médecine et au Département d'anthropologie et chercheuse à l'Institut national de santé publique de Québec, Maryline Vivion, doctorante en anthropologie, et Noni MacDonald, de l'Université Dalhousie. Ainsi, le vaccin contre la variole, qui a été mis au point en Grande-Bretagne en 1796, a été accueilli par un tollé qui a duré des décennies. Réaction étonnante, considérant que cette maladie tuait 30% des personnes frappées par le virus et qu'elle causait de terribles séquelles à celles qui survivaient.
Les arguments antivaccinalistes d'hier et d'aujourd'hui se résument comme suit: les vaccins sont inefficaces et causent des maladies, ils contiennent des substances dangereuses, ils profitent à ceux qui les fabriquent, les autorités nous cachent la vérité sur les dommages qu'ils causent, l'immunité naturelle est préférable, les approches naturelles donnent de meilleurs résultats. «Les premiers vaccins avaient des effets secondaires plus importants, de sorte qu'on peut comprendre une partie des réserves qui existaient à l'époque, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui», souligne Ève Dubé.
Si les arguments sont demeurés les mêmes, les acteurs, eux, ont changé. «Autrefois, l'opposition venait surtout de gens peu instruits qui se méfiaient de l'intervention de l'État dans leur vie, explique la chercheuse. Aujourd'hui, ce sont bien souvent des gens éduqués, qui ont un niveau socioéconomique élevé et qui disent prendre une décision éclairée pour le bien de leur famille.» Les groupes antivaccinalistes attirent notamment des parents convaincus que leur enfant est tombé malade après avoir reçu un vaccin ainsi que des personnes qui offrent des solutions de remplacement. «Elles proposent des traitements qui vont de l'homéopathie à la naturopathie, en passant par la détoxification, et dont l'efficacité n'a jamais été démontrée.»
Autre changement important, les dépliants et les livres qui servaient à véhiculer les thèses antivaccinalistes ont été remplacés par un extraordinaire amplificateur, Internet. «Les opposants aux vaccins sont très actifs sur le Web et dans les groupes de discussion, ce qui donne un poids disproportionné à leur thèse, note Ève Dubé. Dans les faits, moins de 2% des parents sont fermement opposés à tous les vaccins.» Par contre, un nombre grandissant de parents hésitent à faire vacciner leurs enfants. Leur principale source d'information, le Web, les conduit à des sites antivaccinalistes qui se présentent comme des sources d'information neutres, mais qui diffusent des études tronquées et des demi-vérités semant le doute dans les esprits. «Une fois la méfiance installée, il est très difficile de changer l'attitude des gens par rapport aux vaccins», constate la chercheuse.
Selon les trois auteures de l'étude, l'âge d'or de la vaccination est survenu dans les années 1950 et 1960 avec l'implantation des programmes contre la poliomyélite, la rougeole, les oreillons et la rubéole. La réduction du nombre d'enfants malades, d'hospitalisations et de décès a été immédiate. «Avant la vaccination contre la polio, des étages complets d'hôpitaux étaient occupés par des enfants installés dans des poumons d'acier parce que leurs muscles respiratoires étaient paralysés par le virus, rappelle la professeure Dubé. La maladie faisait peur et les parents réclamaient le vaccin pour leurs enfants.» Paradoxalement, c'est le succès de ces programmes qui explique en partie les réserves actuelles des parents. «Les gens ne connaissent plus les ravages causés par ces maladies, de sorte que la nécessité de faire vacciner leurs enfants leur semble moins évidente. La peur des vaccins, attisée par les antivaccinalistes, est devenue plus grande que la peur des maladies.»
Sous certains aspects, les pressions des antivaccinalistes ont eu du bon, reconnaît toutefois Ève Dubé. C'est en partie grâce à leur action que les vaccins sont maintenant plus sécuritaires et que la surveillance des effets secondaires est plus étroite. Malgré cela, l'opposition aux vaccins est aussi profondément enracinée qu'il y a deux siècles, constate la chercheuse. «Il est important de mieux comprendre pourquoi les arguments des opposants séduisent une partie de la population parce que, dès que le taux de vaccination diminue, on assiste à une résurgence de maladies évitables. Du côté de la santé publique, il faut faire un meilleur travail pour communiquer objectivement les avantages et les risques de la vaccination. Les antivaccinalistes qui présentent sur leurs sites Web des témoignages émouvants de parents dont l'enfant vit avec les séquelles d'un vaccin ont bien compris la puissance des communications.»