
Louise Langevin, professeure à la Faculté de droit
Comment expliquer que l’on discute du droit à l’avortement au Canada alors que les conservateurs ont promis, lors de la dernière campagne, qu’ils ne rouvriraient pas ce débat?
Ce gouvernement parle des deux côtés de la bouche en même temps. Je n’en reviens pas que la ministre de la Condition féminine ait voté pour cette motion, alors que le gouvernement a signé des conventions internationales qui reconnaissent le droit à la santé reproductive des femmes. La Constitution canadienne, la Charte des droits, telle qu’interprétée par les juges de la Cour suprême dans quatre décisions, reconnaît le droit d’autonomie de reproduction des femmes. Mme Ambrose ne connaît pas le droit canadien. Elle doit démissionner de son poste, comme l’exige la Fédération des femmes du Québec, car elle n’est pas en mesure de représenter les intérêts des femmes au Conseil des ministres. Les conservateurs utilisent à leurs fins un système démocratique qui fonctionne bien en faisant présenter ces motions – des projets de loi privés – par des députés d’arrière-ban, illustres inconnus, plutôt que par l’exécutif. Ils n’ont rien inventé; ils copient les méthodes de la droite religieuse américaine. Une trentaine d’États américains ont criminalisé l’avortement en interdisant les opérations tardives, en considérant que le meurtre d’une femme enceinte équivaut à deux meurtres, ou encore en s’attaquant au mode de vie d’une mère droguée.
Un autre député conservateur d’arrière-ban s’apprête à déposer une motion visant à condamner les avortements sélectifs, qui concernent surtout les fœtus féminins. Comment les pro-choix peuvent-ils s’opposer à ce que beaucoup considèrent comme des féminicides?
Les avortements sélectifs de fœtus de sexe féminin sont un problème en Chine ou en Inde. On y valorise les bébés mâles pour toutes sortes de raisons économiques et culturelles, car les filles sont une charge pour les parents. Au Canada, est-ce qu’il y a tant d’avortements sélectifs? Je me pose la question. Cependant, comme je suis pour l’avortement en toutes occasions, et que je considère que les femmes sont capables de faire des choix pour elles-mêmes, je fais confiance à leur jugement. Si certaines décident de se faire avorter car elles ont un fœtus de sexe féminin, il faut réfléchir à la position des femmes dans notre société. Cela veut donc dire que l’égalité n’est pas atteinte, en particulier dans certaines communautés où il y a un travail d’éducation à accomplir à propos des valeurs d’égalité entre les hommes et les femmes. Cependant, je constate que l’objectif de cette motion, comme la précédente, est toujours de remettre en question la définition de la personne et du fœtus dans le Code criminel. Il ne faut pas permettre aux conservateurs de pratiquer une brèche dans le droit à l’avortement.
De quels moyens disposent les défenseurs de ce droit pour faire valoir leur point de vue?
C’est là que l’on voit l’importance des groupes de femmes. Ces groupes sont très peu organisés au Canada anglais en raison d’un manque de financement. Si les conservateurs réussissent à modifier le Code criminel, ils n’auront pas le champ libre pour autant. Il ne faut pas oublier que l’avortement, comme les autres soins de santé, est de compétence provinciale. Il y aura donc un débat avec le fédéral. Les femmes doivent se mobiliser contre ce gouvernement, comme les groupes sociaux et les médecins. Au-delà de nos dissensions liées à l’allégeance politique, à la langue ou aux origines, nous, les féministes, nous ne pouvons pas faire autrement que nous retrouver sur la question de l’autonomie de la reproduction. Les rassemblements féministes pourraient reprendre comme dans les années 1970. Est-ce que vous réalisez que des écrits de cette époque redeviennent très actuels puisque le débat est le même? C’est vraiment une perte de temps, car beaucoup d’autres questions sur la condition de vie des femmes ne sont pas toujours pas réglées…