Le débat sur l’utilisation sécuritaire du chrysotile est biaisé par la confusion sur la nature des minéraux qui ont été commercialisés sous le nom d’amiante. L’amiante n’est pas un minéral, mais plutôt le nom utilisé pour le commerce de produits constitués de fibres minérales qui ont des propriétés mécaniques, thermiques et chimiques utiles. On parle en fait de six minéraux qui appartiennent à deux familles: 1) la serpentine chrysotile forme un feuillet enroulé sur lui-même, comme un rouleau de papier, qui donne des fibres soyeuses et flexibles; 2) les amphiboles constituent une vaste famille de minéraux qui prennent la forme d’aiguilles plutôt que de feuillets. Les amphiboles ont une composition chimique variable (Fe, Mg, Ca, Na) et des propriétés physiques différentes. Le chrysotile et les amphiboles ne se forment pas dans les mêmes environnements géologiques. Le chrysotile et les amphiboles sont donc des minéraux très différents, à part la forme fibreuse. Les amalgamer équivaut à mélanger des pommes et des bananes.
Dans le débat actuel sur la santé publique, nous sommes particulièrement inquiets qu’une telle confusion sur les minéraux fibreux, communément appelés amiante, continue d’alimenter les idées reçues. Manifestement, certains interlocuteurs n’ont ni la compétence ni l’expertise pour différencier les minéraux en cause. Plusieurs études démontrent que les amphiboles demeurent dans l’organisme 10 fois plus longtemps que le chrysotile. D’autres études montrent qu’il faut une dose de chrysotile plusieurs centaines de fois plus élevée pour induire un risque similaire à celui de certaines amphiboles. Malgré les preuves scientifiques qui différencient les impacts sur la santé, on continue de confondre chrysotile et amphiboles sous le nom amiante.
Il est particulièrement déplorable que l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne fasse pas cette distinction. En particulier, l’INSPQ utilise une méthode qui permet de compter les fibres, mais pas de les différencier! Pas même les fibres minérales des autres fibres, comme la cellulose. La teneur en fibres d’amiante établie par l’INSPQ est donc la concentration de fibres de toutes origines. Cette teneur n’est pas une donnée fiable; la considérer dans le débat actuel revient à mélanger légumes, pommes, bananes et autres fruits: quelle salade!
Il nous apparaît donc essentiel d’appeler un chat un chat dans le débat sur l’utilisation sécuritaire du chrysotile. Des études épidémiologiques qui prennent en compte la minéralogie des fibres doivent être entreprises pour établir clairement le risque associé à différents usages du chrysotile. C’est ce que recommande aux États-Unis le National Institute for Occupational Health and Safety. La méthode utilisée par l’INSPQ pour mesurer la teneur en fibres doit permettre de distinguer la proportion des différents minéraux. Les décideurs doivent agir à partir d’information fiable et complète afin d’établir des critères qui permettront, s’il y a lieu, un usage sécuritaire du chrysotile. On doit cesser de mélanger les pommes et les bananes.
Georges Beaudoin, Josée Duchesne, Tomas Feininger et Réjean Hébert, professeurs,
Département de géologie et de génie géologique