
L'étudiant-chercheur Germain Mabèrou Houngbédji et le professeur Jérôme Frenette, du Département de réadaptation, viennent de publier des résultats inédits sur les effets musculaires de l'ulcère de Buruli.
— Marc Robitaille
L’ulcère de Buruli est une calamité. Les antibiotiques pour traiter cette infection existent, mais comme ils sont peu accessibles aux populations pauvres et marginalisées des pays en voie de développement et qu’ils doivent être administrés tôt pour être efficaces, bon nombre de victimes en conservent d’importantes séquelles. Il n’est pas uniquement question ici de vilaines cicatrices, mais d’infirmités graves et de membres amputés. «Il faut comprendre que cette maladie frappe les plus démunis des pays les plus pauvres», souligne le professeur Jérôme Frenette, du Département de réadaptation, qui étudie le sujet depuis maintenant quatre ans. Les statistiques sur la prévalence de l’ulcère de Buruli sont peu fiables, mais on sait toutefois qu’il touche une trentaine de pays tropicaux ou subtropicaux autour du globe et qu’il frappe durement les enfants des régions subsahariennes du centre et de l’ouest de l’Afrique. En Côte d’Ivoire et au Bénin, on a dénombré 28 000 cas en 30 ans et la maladie est jugée en émergence par l’OMS.
L’ulcère de Buruli est causé par la bactérie Mycobacterium ulcerans. Cet agent infectieux produit une toxine, la mycolactone, qui provoque des lésions tissulaires — en termes crus, la bactérie digère la peau — et inhibe la réaction immunitaire de l’organisme. «Les victimes sont comme des grands brûlés», résume le professeur Frenette. Cette bactérie fait partie de la triste famille des mycobactéries à qui on doit aussi la tuberculose et la lèpre. Le traitement antibiotique contre l’ulcère de Buruli permet d’obtenir une guérison complète de 50 % des lésions. Jérôme Frenette croit qu’on pourrait faire mieux si on connaissait davantage les mécanismes d’action de cette bactérie. «Jusqu’à tout récemment, les recherches s’étaient surtout concentrées sur la peau parce que c’est là que les effets de la maladie sont les plus visibles. Nous avons voulu savoir ce qui se passait dans les muscles parce que les symptômes laissaient croire qu’eux aussi étaient affectés.»
Le professeur Frenette, l’étudiant-chercheur Germain Mabèrou Houngbédji et leurs collaborateurs Claude Côté, Maurice Boissinot, Michel G. Bergeron et Pamela Small ont publié au cours des derniers mois deux articles dans la revue Microbes and Infection qui lèvent en partie le voile sur l’impact musculaire de l’infection. Des injections sous-cutanées de la bactérie pratiquées chez des souris ont provoqué une nécrose, une inflammation et une fibrose importante du muscle situé à proximité. L’infection a entraîné des contractures (contraction musculaire involontaire et prolongée) et une perte de 20 % de la force musculaire. Par ailleurs, une injection intramusculaire de mycolactone a non seulement causé une dégénérescence musculaire et une perte de 70 % de la force, mais elle a anéanti les mécanismes de réparation musculaire. Le professeur Frenette et l’étudiant-chercheur Houngbédji présenteront leurs résultats au Sommet mondial sur l’ulcère de Buruli qui se déroulera du 30 mars au 3 avril à Cotonou au Bénin sous l’égide de l’OMS.
Les compagnies pharmaceutiques consacrent peu de ressources aux maladies négligées comme l’ulcère de Buruli parce que ce ne sont pas des marchés rentables. Selon l’OMS, un habitant de la planète sur six est atteint d’une maladie tropicale négligée, mais moins de 1 % des quelque 1 400 médicaments homologués entre 1975 et 1999 étaient destinés au traitement de maladies tropicales. Malgré tout, Jérôme Frenette espère que les recherches que poursuit son équipe contribueront à trouver des traitements plus efficaces, bien qu’il ne se fasse pas d’illusion quant au temps qu’il faudra avant que les malades puissent profiter de meilleurs soins. Mais, que peut faire un chercheur devant un problème d’une telle ampleur et des statistiques si écrasantes, que faire sinon la seule chose qui semble avoir un sens dans une situation aussi insensée: continuer à chercher.