«Nous vivons actuellement dans un univers d’expériences parallèles qui prend la place du véritable événement, explique Anne-Marie Gingras. Ce qu’on pense de l’événement est devenu plus important que l’événement lui-même.» Devant l’éventail des choix, les participants à une enquête sur des sujets d’ordre émotif ou personnel auront souvent tendance à enjoliver les choses ou à se montrer sous leur meilleur jour. En effet, qui a intérêt à induire l’idée qu’il est raciste ou qu’il est contre le partage des tâches ménagères? Il est également courant qu’une personne fasse un choix de réponse selon son humeur ou encore qu’elle choisisse ce qui lui apparaît comme le juste milieu, à moins qu’elle ne donne sa réponse au hasard ou en fonction de l’opinion d’une personnalité publique qu’elle admire. Selon Anne-Marie Gingras, on ne devrait tout simplement pas se fier aux résultats de ce type d’enquête.
Des mécanismes de contrôle
Au-delà de ces considérations, il n’en demeure pas moins que les résultats d’un sondage font vendre des journaux en plus de constituer une excellente forme de publicité pour une maison de sondage. «Que les résultats soient tellement serrés qu’ils en perdent toute signification ou que les données soient incomplètes et difficilement interprétables, on ne s’en préoccupe pas, constate Anne-Marie Gingras. On fait tout pour trouver un sens à ce qui n’en a pas scientifiquement, alors qu’avec les sondages, nous sommes dans le domaine des probabilités et non de la réalité.» Pour marquer ce caractère probabiliste, la politologue recommande l’emploi du conditionnel au lieu du présent lorsque vient le temps d’expliquer les résultats de l’enquête. De plus, en tant qu’instrument de recherche, le questionnaire d’un sondage devrait être exempt de toute faille ou erreur pouvant fausser les données recueillies, par exemple l’ordre et la manière dont sont construites les questions, de même que le choix des mots (souveraineté au lieu de séparation, par exemple).
Anne-Marie Gingras déplore le fait qu’il n’existe aucun mécanisme de contrôle dans les maisons de sondage au Québec et au Canada, ce qui laisse selon elle la voie ouverte aux erreurs techniques, aux choix méthodologiques discutables, aux raccourcis et aux interprétations libres. Elle cite à cet effet l’exemple de la France où existe une Commission des sondages depuis 1977. «L’existence de cette commission ne règle peut-être pas tous les problèmes, mais elle impose une discipline qui permet de faire des sondages de meilleure qualité, souligne Anne-Marie Gingras. Je verrais très bien l’existence d’un tel organisme au Québec qui permettrait davantage de transparence ainsi que des mises au point bénéfiques pour la qualité de l’information offerte à la population.»