Les chercheurs ont réalisé leurs analyses à l'aide d'échantillons d'ADN provenant de populations d'épinettes blanches de six régions du Québec. Selon leur origine, ces arbres affichent des caractéristiques qui les distinguent des autres, notamment au plan de la croissance et de la qualité du bois. Repérer les différences génétiques responsables de ces variations constitue toutefois une entreprise colossale en raison de la dimension du génome de l'épinette, qui compte au bas mot 30 000 gènes. «La plus grande partie du génome de l'épinette ne code pas pour des protéines, rappelle Jean Bousquet. Pour cette raison, la majorité des marqueurs trouvés aléatoirement à l'aide de méthodes courantes n'interviennent pas dans des caractères comme la qualité du bois.» Pour cerner les variations génétiques qui influencent de tels caractères, les chercheurs ont eu recours à une méthode qui «enlève de la paille de la botte de foin afin d'y trouver plus facilement l'aiguille», image le commentaire éditorial paru dans Molecular Ecology. À cette fin, les informations sur le génome de l’épinette blanche, amassées depuis 2002 à l’Université dans le cadre du projet Arborea, ont été cruciales. Les chercheurs ont produit des sondes à l'aide des ARN messagers des épinettes. «Au lieu de gaspiller du temps, de l’énergie et des ressources à chercher à l'aveuglette, nous concentrons nos analyses sur les parties du génome qui conduisent à la synthèse de protéines», résume Jean Bousquet.
L'analyse des variations naturelles de 345 gènes de l'épinette blanche a permis de déterminer que 14 % d'entre eux affichent une variabilité plus grande que ne le voudrait le hasard, suggérant que la sélection naturelle opère sur ces caractères et favorise une certaine diversité génétique. Les chercheurs ont constaté après coup que la fonction présumée de ces gènes était effectivement liée aux adaptations locales de chaque population. «Pour confirmer que ces variations sont effectivement responsables de l'adaptation, il faudrait déterminer si elles sont présentes dans des populations extrêmes, explique Jean Bousquet. Je pense, par exemple, aux épinettes blanches qui vivent le plus au nord ou le plus au sud, ou encore aux meilleurs et aux pires spécimens pour un caractère donné.» Outre son intérêt fondamental, cette découverte a une dimension pratique: il deviendra bientôt possible de déterminer si de jeunes plants d’épinettes ont un profil génétique intéressant au chapitre de la croissance ou de la qualité du bois, sans passer par des tests dans les champs qui peuvent exiger jusqu'à 30 années d'attente. «À notre connaissance, il s'agit de la première étude, menée dans des populations naturelles, qui associe des variations subtiles dans un gène donné aux adaptations locales, souligne Jean Bousquet. Nous avons démontré la faisabilité de cette approche et d'autres chercheurs pourront maintenant s'en inspirer et l'appliquer à leurs propres travaux.»