
«Le fait que le caribou est présentement abondant dans le Nord québécois n'est garant de rien pour l'avenir.»
— Serge Couturier
Les populations de caribous sont réputées pour leur profil démographique en montagnes russes, a-t-il rappelé. Ainsi, le troupeau de la rivière George, qui comptait moins de 10 000 têtes dans les années 1950, a grimpé à près de 1 million en 1995, pour redescendre à 400 000 en 2001. Les effectifs de l’autre grand troupeau québécois de caribous migrateurs, celui de la rivière aux Feuilles, qui ne comptait que quelques centaines de têtes dans les années 1970, s’établissait à 1,2 million lors du dernier inventaire effectué en 2001. Pourtant, ces deux troupeaux sont voisins et ils se chevauchent, au propre comme au figuré, pendant une partie de l’année. Dans le reste du pays, plusieurs troupeaux, prospères jusqu’à récemment, connaissent des baisses d’effectifs de l’ordre de 20 à 40 %, atteignant même 90 % dans le pire des cas. «Le fait que le caribou est présentement abondant dans le Nord québécois n’est garant de rien pour l’avenir», a souligné le conférencier.
Des scénarios à simuler
Le professeur Côté n’est pas un devin qui lit l’avenir dans les tripes d’un animal sacrifié, mais il peut établir l’état de précarité d’un troupeau à partir de la condition physique des bêtes. «La condition corporelle des caribous influence leur reproduction, leur survie et conséquemment la démographie du troupeau», souligne-t-il. Ainsi, même si le troupeau de la rivière George a décliné au cours des dernières années, le poids des caribous y est en hausse, ce qui est de bon augure. À l’inverse, le poids des caribous du gigantesque troupeau de la rivière aux Feuilles est en baisse, ce qui n’annonce rien de bon pour l’avenir.
Dans quel sens les changements climatiques entraîneront-ils ces troupeaux? Difficile à dire pour l’instant, répond le professeur Côté. «L’effet pourrait être positif si la hausse des températures stimule la production des végétaux dont se nourrit le caribou.» Les chercheurs utiliseront différents dispositifs expérimentaux — enneigement prolongé, fonte hâtive, serres portatives, broutement simulé, exclos — pour simuler différents scénarios associés au réchauffement climatique et en mesurer les effets sur les plantes.
Un autre élément important à considérer concerne les migrations de ces troupeaux. Les caribous croisent de nombreux plans d’eau au fil des 5000 km qu’ils parcourent chaque année et les données existantes indiquent que les températures sont en hausse dans le Nord québécois et que la glace se forme plus tardivement sur les grands réservoirs hydroélectriques. L’absence de ponts de glace sur les réservoirs ou sur certains lacs de grande dimension pourrait contraindre les caribous à emprunter de nouvelles routes migratoires, anticipe le chercheur.
La société Hydro-Québec est donc très intéressée par les travaux de l’équipe du CEN, tout comme Xstrata Nickel (mine Raglan), une compagnie minière dont les installations sont situées tout près de l’aire de mise bas du troupeau de rivière aux Feuilles. Les deux entreprises, qui veulent minimiser l’impact de leurs activités sur le caribou, accordent d’ailleurs un soutien au projet, tout comme le ministère des Ressources naturelles et de la Faune, la Fédération des pourvoyeurs du Québec et la Société Makivik. «Nous espérons que cette recherche, qui s’inscrit dans le cadre de l’Année polaire internationale, aidera à la gestion des troupeaux de caribous dans un contexte de changement», conclut Steeve Côté.