
Un modèle géothermique prédit que, d'ici la fin du siècle, l'épaisseur du sol soumis au cycle gel-dégel pourrait augmenter de 40 cm dans le village de Salluit, ce qui aura des répercussions sur les infrastructures de ce village nordique.
— Martin Tremblay
Les scientifiques prévoient qu’en réponse au réchauffement climatique, la partie du sol soumise au cycle gel-dégel (mollisol) gagnera en importance alors que le pergélisol (partie du sol où la température demeure sous le point de congélation pendant au moins deux ans) sera refoulé plus loin sous la surface. Anne-Marie LeBlanc a élaboré un modèle géothermique tridimensionnel pour déterminer comment cela se traduira sur le terrain, à l’échelle locale, en prenant le village de Salluit, au Nunavik, comme sujet d’étude. «La majeure partie des infrastructures de Salluit est fondée sur un pergélisol salin, riche en glace sensible aux changements climatiques», précise-t-elle.
Le modèle qu’elle a réalisé avec la collaboration de Richard Fortier et René Therrien, du Département de géologie et de génie géologique, et de Michel Allard, du Département de géographie, a servi à simuler les réactions des sols au plus pessimiste des scénarios de réchauffement climatique anticipés pour le pergélisol - une augmentation de l’ordre de 6 degrés Celsius de la température moyenne annuelle de l’air entre la période de référence (1961-1990) et la fin du présent siècle. Résultat: l’épaisseur du mollisol pourrait augmenter de 40 cm dans les sols argileux. «Pour la partie du village où se trouve la majorité des bâtiments, on pourrait assister à des tassements de 10 à 15 cm, prédit l’étudiante-chercheuse. Il sera possible de compenser ces mouvements là où les infrastructures sont construites sur vérin. La situation sera plus problématique pour les bâtiments construits sur base fixe ou si des tassements plus importants devaient survenir.»
Les modèles numériques du climat ne parviennent pas encore à reproduire fidèlement ce qui se produit sur le terrain dans le Nord, prévient toutefois Anne-Marie LeBlanc. Ainsi, la température moyenne annuelle en 2006 dans la vallée de Salluit a été de 5 ºC plus élevée que pendant la période 1961-1990, alors que les modèles climatiques n’anticipent pareil réchauffement que vers la fin du présent siècle. «Il s’agit, bien sûr, d’une valeur ponctuelle, mais elle entraîne des conséquences bien réelles sur le pergélisol. Les effets du réchauffement climatique sur les infrastructures pourront donc être plus importants que ne le prédit le modèle géothermique.»
Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet plus vaste que le ministère de la Sécurité publique du Québec a confié à Michel Allard et à Richard Fortier. Leur équipe du Centre d’études nordiques doit produire une carte de zonage des conditions du pergélisol à Salluit afin de repérer les emplacements propices à la construction et proposer des méthodes de construction adaptées aux conditions futures du pergélisol. En septembre 1998, un glissement de terrain avait forcé le déménagement d'une vingtaine de maisons récemment construites et l'abandon d'un nouveau développement domiciliaire.