Le 14 octobre, à l’occasion de la Semaine ULaval pour toujours, la rectrice Sophie D’Amours s’est entretenue par visioconférence avec un spécialiste international de l’investissement et Grand Diplômé de l’Université Laval, Jean Raby. Tour à tour avocat d’affaires, banquier d’affaires et dirigeant d’entreprise durant une carrière qui a débuté en 1989, l'homme a notamment travaillé à New York et à Paris.
Diplômé en droit de l’Université Laval, Jean Raby obtient par la suite une maîtrise en relations internationales de l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, puis une maîtrise en droit de l’Université Harvard, aux États-Unis. Il a commencé sa carrière comme avocat d’affaires chez Sullivan & Cromwell à New York et à Paris. Il a ensuite travaillé pendant 16 ans au sein de la division banque d'investissement de Goldman Sachs, avant de rejoindre Alcatel-Lucent, où il travaillera de 2013 à 2016 comme vice-président à la direction, directeur financier et directeur juridique. En 2016, il occupe la fonction de directeur financier de SFR avant d’être nommé, en 2017, directeur général de Natixis Investment Managers. Natixis est l’un des plus importants gestionnaires de portefeuille du monde avec des actifs sous gestion de 1100 milliards d’euros. En avril 2021, il quitte son poste pour prendre la direction d’une société d’acquisition à vocation spécifique, Odyssey Acquisition.
«Ma carrière, a-t-il expliqué d’entrée de jeu, est le témoignage et la conséquence de la formation que j’ai reçue. Le socle est la capacité d’apprentissage. Parce que, à quelque part, lorsqu’on est professionnel, on est tous autodidactes. Le second fondement de ma carrière: je pense avoir eu beaucoup de chance. J’ai rencontré des gens qui m’ont fait confiance, qui m’ont permis d’envisager d’autres avenues.»
L’une de ces personnes est un chef d’entreprise et politicien français qui un jour avait fait une remarque à Jean Raby, un commentaire qui lui a servi de guide par la suite. «Lorsqu’on est à un carrefour dans la vie, a-t-il poursuivi, il faut prendre le chemin qui apparaît le plus difficile, le plus empreint de défis. C’est peut-être le plus risqué. Mais c’est surtout celui qui apporte le plus de récompenses et d’enrichissement si on le choisit. Je n’ai pas eu peur de me remettre en cause. Il faut dire oui à la vie, aux défis qui se présentent à soi. Et ça nous amène quelque part.»
Selon lui, le fait d’être Québécois représente un avantage indéniable pour qui évolue à l’international. «Je pense que cette vérité n’est pas suffisamment connue, a-t-il dit. Je l’ai vécue. Et c’est vrai. Nous avons ce biculturalisme qui fait que nous sommes capables de projeter une image où l’informalité des rapports humains qui caractérise l’Amérique du Nord et que l’on personnifie, en se conjuguant à une certaine sophistication «de tradition européenne», constitue un réel avantage dans un monde interdépendant et globalisé où les frontières se sont atténuées. Je pense que ce biculturalisme a été un élément vraiment déterminant de mon parcours. Il m’a permis d’évoluer dans différents environnements où cette caractéristique biculturelle était non seulement très utile, mais aussi très adaptée à la réalité des grandes entreprises qui n’ont plus de frontières.»
Télétravail, multilatéralisme, transition énergétique
Jean Raby estime que les gouvernements ont navigué à vue en ce qui a trait à la pandémie. Ils ont pris très rapidement des mesures qu’ils juge «très drastiques». «Une espèce de pensée unique a été la réponse à la pandémie, a-t-il expliqué. J’aurais pensé qu’on aurait eu plus de débats de société sur ce qu’était la bonne réponse à cette situation inédite.»
La pandémie a par ailleurs favorisé l’accélération de certaines tendances, comme le télétravail. «On a appris, a-t-il soutenu, à travailler d’une certaine manière décentralisée, qu’on ne soupçonnait pas, et à être capables de le faire à une large échelle. On a aussi eu des jugements très rapides. J’entendais, au milieu de la tempête, que le monde d’après la pandémie ne sera jamais le monde d’avant. Je relativisais tout ça. On voit bien aujourd’hui que le monde d’après ressemblera pas mal au monde d’avant, avec des bémols.»
Selon lui, la perception de la santé a changé. «Elle est aujourd’hui vue comme un investissement, non plus comme un coût, a-t-il affirmé. Je suis positivement étonné par la richesse de ce qui se fait aujourd’hui dans le développement d’outils de la santé de façon large, des outils qui puisent leur innovation notamment au sein de l’intelligence artificielle et de la numérisation. Je pense que ce sera un bénéfice pour l’humanité tout entière.»
La pandémie a eu un effet sur les relations internationales en accélérant le bilatéralisme. «On a observé pas mal de chacun pour soi en cette matière, a souligné Jean Raby. Ce phénomène avait sans doute débuté avant la pandémie et a eu des conséquences quelque peu négatives sur quoi faire et comment répondre à la pandémie. Je ne peux qu’espérer qu’on va revenir à une approche plus multilatérale parce que beaucoup des problèmes auxquels l’humanité fait face, comme le dérèglement du climat, et la pandémie l’a démontré, ignorent les frontières totalement. Et ces problèmes appellent des solutions globales.»
Selon lui, la période de transition énergétique dans laquelle nous entrons sera longue parce que la source d’une problématique telle que le réchauffement de la planète est présente depuis des décennies dans nos sociétés. «La prise de conscience, a-t-il poursuivi, a été plutôt longue. Cela ne veut pas dire que les solutions peuvent être implantées très rapidement. Le pire service que l’on peut se rendre est de penser qu’il y a des solutions simples et que tout sera réglé rapidement. Dans le monde de l’investissement, je vois des gens qui appellent au boycott de tout ce qui est industrie carbonée, notamment l’extraction d’hydrocarbures. Je pense qu’une réponse nuancée serait, par exemple, d’accompagner ces sociétés qui réinvestissent de façon massive dans les énergies renouvelables. C’est le cas de Total et bien d’autres. Le nucléaire est un autre exemple. Je vis dans un pays où le nucléaire est au cœur de la production énergétique. Cette industrie n’est clairement pas sans conséquences. Mais c’est une énergie qui peut accompagner la transition énergétique.»
L’importance de redonner
La rectrice a présenté son invité comme un philanthrope fortement engagé dans sa communauté. Elle a donné en exemple la participation de Jean Raby aux séances du Conseil d’administration de l’Université Laval. En raison du décalage horaire, celui-ci était encore en ligne à une heure ou deux heures du matin.
«J’ai bénéficié d’une éducation de grande qualité, a-t-il raconté. Cette formation a été le fondement de mon parcours professionnel et aussi personnel. Je considère que la différence entre les deux devient de plus en plus diffuse. C’est important de redonner. J’ai été privilégié à bien des égards. Je pense que la nécessité de redonner est encore plus importante. C’est un peu comme la parabole des talents du Nouveau Testament. Plus on reçoit, plus on doit redonner. Évidemment, c’est plus facile donner de l’argent que du temps! Donner du temps est vraiment exigeant. En ce sens, il faut reconnaître que l’engagement n’est plus dans un silo.»
Voir ou revoir l'entretien avec Jean Raby, accordé à l'occasion de la Semaine ULaval pour toujours