Le mardi 1er décembre, durant la séance ordinaire du Conseil universitaire, les membres ont reçu et accepté un document capital visant à consolider les activités de l’Université relatives aux peuples autochtones. Intitulé L’Université Laval en action avec les Premiers Peuples, le document a été présenté par Michèle Audette, adjointe au vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes, Robert Beauregard, et conseillère principale à la réconciliation et à l’éducation autochtone. La création de ce poste s’inscrit dans la planification stratégique 2017-2022 de l’Université.
Peu avant la séance du Conseil, une cérémonie officielle a eu lieu en la présence de la rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours et de Carol Dubé, le conjoint de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de 37 ans de Manawan. Le 28 septembre, cette mère de sept enfants, hospitalisée à l’hôpital de Joliette, est décédée après avoir enregistré un Facebook Live montrant du personnel soignant la maltraitant. «Monsieur Dubé, explique Michèle Audette, aurait pu refuser l’invitation de l’Université. Il l’a acceptée parce qu’il voulait montrer au reste du monde qu’on a tous une responsabilité dans ce drame, et qu’au-delà de la politique et des discours, nous devons oublier nos divergences afin d’aller de l’avant ensemble. Malgré les nombreux traumatismes du passé, il a voulu démontrer que les Premiers Peuples ont la capacité de pardonner, d’être généreux et de tendre la main, d’être accueillants et résilients. Le cadeau d’amitié remis à monsieur Dubé est une couverture de laine de facture autochtone. Chez plusieurs peuples, cet objet représente le territoire et signifie un engagement de protection.»
La table des matières du plan d’action est mise en valeur par le texte d’un homme politique, le chef atikamekw de Manawan, Paul-Émile Ottawa. Il écrit notamment:
«Quand les ponts se traversent avec la compassion dans l’âme… / Quand on y met l’effort, un sourire vrai le plein cœur… / Alors peut survenir la réconciliation. Et avec elle, une paix féconde entre les Hommes et les Nations.»
Une prise de conscience nationale
Les auteurs du plan d’action rappellent que, dans le passé, les pensionnats autochtones et les politiques canadiennes d’assimilation ont eu des effets désastreux sur les communautés autochtones. Une prise de conscience nationale a suivi, qui a amené les universités canadiennes à participer pleinement à l’exercice qui consiste à assurer à ces peuples un avenir plus juste.
L’Université Laval n’est pas la dernière venue dans ce dossier. Elle accueille chaque année près de 400 étudiantes et étudiants issus des Premiers Peuples et du peuple inuit, ce qui la place au premier rang parmi les universités francophones à ce chapitre. Cet effectif est composé de nombreux Innus et Hurons-Wendat, mais aussi d’Atikamekw, de Malécites, d’Abénakis, d’Algonquins, de Micmacs francophones et de Naskapis. L’Université jouit d’une longue tradition de recherche en collaboration non seulement avec les peuples autochtones du Québec, mais aussi du reste du monde. Sur la planète, on compte actuellement autour de 370 millions d’Autochtones.
Le plan d’action considère les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Il vise particulièrement à bonifier le soutien aux Autochtones d’aujourd’hui et de demain sur le campus de l’Université Laval, et dans leur milieu de vie, ainsi qu’à renforcer le réseau d’alliances de l’Université auprès de partenaires autochtones dans le domaine de l’éducation et de la recherche.
Cette stratégie en matière de réconciliation comprend les volets suivants: création d’un Cercle des Premiers Peuples, développement de partenariats avec les Autochtones, mise en place d’une stratégie de communication efficace. D’autres touchent les programmes universitaires en matière de formation, de recherche et de gouvernance.
Le nouveau Cercle des Premiers Peuples proposera une diversité de services et d’activités adaptés, comme la reconnaissance culturelle, l’intégration à la ville de Québec, le soutien psychologique et la recherche de bourses. Un système de mentorat sera mis en place pour que les étudiants les plus avancés puissent soutenir les nouveaux arrivés. Sur le plan de la formation, l’Université offrait cette année un cours de langue inuite. Un cours de langue innue est en création. «Un accompagnement sera offert aux étudiants autochtones pour leurs cours, explique Michèle Audette. Une de leurs difficultés est la langue française. Les langues autochtones sont descriptives; le français est davantage symbolique. Des étudiants m’ont dit qu’ils avaient de la difficulté à comprendre les questions d’examens. Ils traduisent les mots dans leur tête. Quelques professeurs ont accepté de leur faire faire des examens en mode verbal.»
Elle insiste sur le difficile passage de la vie dans les communautés éloignées de Québec à la vie d’étudiant en milieu universitaire. «Ma génération s’est rendue à l’université, dit-elle. Un parent universitaire constitue un modèle pour ses enfants. Les étudiants à qui j’ai parlé du passage de la communauté à un campus universitaire ont mentionné que l’éloignement géographique représentait un problème et que la valorisation de l’éducation supérieure restait à faire dans les communautés. Le souvenir des écoles résidentielles, qui ont duré trois générations, est encore dans les mémoires. Tout n’est donc pas gagné.»
Le plan d’action touche également aux activités de recherche. Une nouvelle approche de réconciliation, de partenariat et de coconstruction caractérisera désormais ces activités, que l’on pourrait résumer par la recherche pour, sur et avec les Autochtones. De nouvelles chaires de recherche et de nouvelles chaires de leadership en enseignement seront créées. Des projets de recherche collaborative et de recherche-action seront conçus. Ces travaux s’appuieront sur les principes établis en collaboration avec les nations autochtones du Nord et énoncés dans les lignes directrices pour la recherche de l’Institut nordique du Québec. L’Institut reconnaît et met à contribution les savoirs, la culture et les intentions des nations autochtones. De nombreux professeurs sont déjà fort avancés en matière d’éthique de recherche avec les peuples autochtones. Il reste encore des efforts à fournir afin de s’assurer que la recherche est menée partout selon les plus hauts standards, mais aussi pour que les organisations autochtones maîtrisent mieux les outils et les protocoles leur permettant de collaborer à la recherche.
«Trop longtemps, on a étudié et analysé sans jamais redonner aux communautés, sans jamais leur demander si elles avaient besoin de cette recherche, souligne Michèle Audette. Les universitaires comprennent qu’on ne peut plus faire la recherche comme avant. Quatre grandes nations vont collaborer dans le développement de lignes directrices sur comment doit se faire la recherche en milieu nordique.»