Mme Berteli Cardoso croit que «sans les réponses de la religion, l’enfant adorera de nouveau le dieu-soleil et craindra le dieu-tonnerre». Je crois plutôt que, libéré des pseudo-réponses de la religion, il aura peut-être la chance de découvrir les vraies réponses de Newton, Darwin et Pasteur. Contrairement à ce qu’elle affirme, je crois qu’il faut tracer une démarcation claire entre foi et raison, entre croire et savoir, entre religion et science, non pas pour les opposer, mais par souci de lucidité. Science et religion peuvent se respecter mutuellement tout en étant fidèles à leur nature propre. Les intrusions spiritualistes en science ne l’améliorent jamais. Une meilleure sensibilité spirituelle peut sans doute améliorer une personne, mais pas la valeur scientifique de sa science.
M. Duffley, pour sa part, est tellement occupé à nous enseigner que «le mot credo correspond à la première personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe latin credere…», qu’il n’a rien vu du sens profond et de la subtilité du bel oxymore inventé par Jean Hamann (le credo du doute). M. Duffley me fait penser à ces gens qui s’obstinent à ne regarder que le doigt lorsqu’on leur pointe la lune. S’il avait lu Aristote, Kant, Popper, Bernard ou même seulement mon livre, il aurait peut-être compris qu’en science, pour chercher la vérité, il est beaucoup plus utile de douter que de croire. La contradiction apparente de l’oxymore est justement une invitation à réfléchir au sens profond qui se cache sous les apparences. Mais pour cela, il faut aller plus loin que le signifié de la première personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe douter».
Bien parti sur sa lancée, le professeur Duffley semble tout heureux d’avoir décelé une autre «contradiction sous-jacente» dans mon discours sur la foi. Parce que je propose d’une part que l’humain est génétiquement prédisposé à croire et que d’autre part, je demande s’il ne serait pas prudent de soustraire les jeunes enfants à l’endoctrinement religieux, M. Duffley demande «s’il est naturel de croire, au nom de quel principe peut-on combattre ce qui est dans nos gènes?» Il faut le combattre au nom du même principe que l’on doit lutter contre le racisme, la xénophobie, le sexisme, l’égoïsme, la compétition à outrance, la loi du plus fort et tous les autres caractères de notre nature animale, un produit de la longue histoire évolutive de notre espèce. M. Duffley sera peut-être heureux de constater que, bien que je sois un darwinien convaincu, j’ai compris que la nature humaine dépend justement de notre capacité à nous affranchir des impératifs adaptatifs et naturels hérités de nos ancêtres.
Ensuite M. Duffley semble m’attribuer «une fois aveugle dans la science». D’abord l’expression «foi aveugle» est un pléonasme et une «foi aveugle dans la science», cela s’appelle le scientisme, une doctrine détestable que je dénonce dans mon livre. Enfin M. Duffley m’invite à «réfléchir plus profondément au rapport entre rationalité et moralité»; je pense y avoir réfléchi plus et mieux qu’il ne semble le croire et, s’il avait lu mon livre, il ne m’attribuerait peut-être pas l’immoralité simpliste et barbare qu’il associe, en ignorance de cause, à une vision rationnelle et scientifique du monde.
CYRILLE BARRETTE
Professeur au Département de biologie