Comme parent, éducateur, citoyen et président-fondateur du Mouvement Humanisation, j’aimerais partager mes réflexions avec le peuple québécois sur la problématique des accommodements reliée aux différences culturelles. Je souhaite attirer l’attention sur la cause principale du problème plutôt que sur les multiples effets soulevés lors des audiences de la Commission Bouchard-Taylor.
Les démocraties traversent actuellement une crise d’identité due à leur pluralisme grandissant et les tensions internes qui en découlent. Si elles ne se donnent pas rapidement un projet commun fondé sur des valeurs partagées, elles risquent d’imploser comme nous préviennent certains observateurs avisés.
Le problème des accommodements n’est qu’un exemple parmi plusieurs de cette crise identitaire que traversent actuellement les démocraties qui se veulent libérales, laïques et pluralistes. Les démocraties ont fait une erreur capitale en ne remplaçant pas les conceptions religieuses du monde et de la vie et les pratiques qui en découlent par une conception naturelle, complexe, ouverte et scientifique de la nature humaine sur laquelle elles auraient pu fonder une éthique humanisante. Une telle conception crédible et partagée aurait pu remplir le vide laissé par la « sortie de la religion ». Une telle éthique aurait permis d’établir des valeurs et des normes capables d’unir les humains dans un projet commun et de les aider à satisfaire ensemble les exigences de développement et de bon fonctionnement de leur être dans ses rapports avec lui-même, autrui, la société, l’humanité et l’environnement.
Nécessairement universelle, parce que fondée sur la nature humaine, cette éthique aurait rempli avantageusement le «vide spirituel» dont parle le cardinal Marc Ouellet. Faute d’une anthropologie fondamentale (science de l’humain), les démocraties n’ont pas pu élaborer une anthropologie politique, éducative, culturelle et économique qui auraient mis davantage leurs institutions sociales au service de l’humain plutôt qu’au service des différents pouvoirs en place (religieux, ethnique, étatique, financier, idéologique…). L’absence d’un projet social fondé sur une éthique humanisante susceptible de donner un sens et une direction au vivre-ensemble des citoyens est la source principale des problèmes actuels liés aux accommodements religieux.
Êtres de raison, les humains cherchent à donner un sens global et un cadre d’orientation à leurs actions individuelles et collectives. Jadis, les religions élaboraient et diffusaient ces représentations du monde et de la vie. Les démocraties ont cependant opté pour la raison et la science plutôt que la révélation, les mythes et les fantasmes pour aider les humains à satisfaire ensemble les besoins, les désirs et les aspirations dont dépendent non seulement leur bonheur individuel et collectif mais la survie même de leur espèce. Les humains n’ont que l’histoire, la philosophie et la science pour les aider à se comprendre et comprendre l’univers dans lequel ils vivent. Cette connaissance devrait déboucher sur des valeurs et une éthique universelles capables de les aider à vivre ensemble dans la solidarité et la paix.
Le débat sur les accommodements touche directement la mission éducative du Mouvement Humanisation qui vise à faire respecter le droit inaliénable de chaque humain, et plus particulièrement celui des enfants et des adolescents, à une éducation et à une éthique humanisantes puisqu’ils naissent humains qu’en potentiel. Ce droit n’est pas respecté actuellement faute de programmes d’humanisation fondés sur une science et un art du développement humain, et adaptés à chaque catégorie d’âge. Ce qui est en jeu dans le présent débat n’est rien de moins que la conception qu’un peuple se fait du monde, de la vie, de l’humain, de la société, de l’éducation et de lui-même, ainsi que des valeurs et des normes qui donnent un sens et une direction à la vie individuelle et collective de ses membres.
Le peuple québécois, par l’entremise de son gouvernement, a la responsabilité morale de faire respecter le droit inaliénable de chaque nouvelle génération à une éducation et à une éthique humanisantes. En respectant ce droit, on s’attaque directement à la racine des problèmes d’accommodement qui s’amplifieront davantage si nous ne désamorçons pas rapidement cette bombe culturelle qui menace les démocraties de l’intérieur suite à un pluralisme grandissant.
Le nouveau programme Éthique et culture religieuse, prévu pour septembre 2008, offre une chance unique aux Québécois de respecter enfin le droit de leurs enfants à une éthique humanisante sans endoctrinement religieux. Cette éthique naturelle sera vraiment émancipatrice et unificatrice à la condition expresse de la séparer de l’enseignement religieux puisque ce sont deux façons totalement opposées de concevoir la réalité. Sinon, nous continuerons de laisser faussement croire aux futures générations que l’éthique est constitutive de la religion et qu’on ne peut pas être moral si on n’est pas croyant. C’est ce que les clergés ont toujours laissé sous-entendre pour apeurer le bon peuple et l’attirer dans leur giron.
Le Québec possède actuellement toutes les connaissances, tous les experts, toutes les institutions pour se doter rapidement d’une éthique humanisante qui constitue le cœur de toute éducation humanisante. Est-ce que le Québec saura saisir cette occasion inouïe qu’offre le nouveau programme d’éthique d’unir tous ses citoyens dans un projet commun fondé sur leur commune nature et capable de donner un sens et une direction autant à leur vie individuelle que collective? Voilà le véritable enjeu de la Commission Bouchard-Taylor et du nouveau programme Éthique et culture religieuse.
GASTON MARCOTTE
Professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation
Président-fondateur du Mouvement Humanisation