19 mai 2010
Petit exercice d'histoire contrefactuelle
Il y a trente ans aujourd’hui, le 20 mai 1980, avait lieu le premier référendum sur la souveraineté du Québec. Que serait-il arrivé si les acteurs politiques, notamment dans le camp du Non, avaient été différents?

Partant de l’idée que les souverainistes perdent quand même le référendum, Réjean Pelletier, professeur associé au Département de science politique, imagine quand même une suite différente à l’après-scrutin. Notamment parce que Joe Clark, venant de l’Ouest, avait une vision plus provincialiste et moins centralisatrice du Canada que son rival fédéral. «On peut imaginer qu’il aurait négocié avec le Québec en partant peut-être des revendications du Livre beige de Claude Ryan», présume-t-il. Ce texte, proposé par le chef du Parti libéral du Québec, suggérait un maintien de l’équilibre des compétences entre le provincial et le fédéral, renforçant les prérogatives québécoises en matière de culture et d’éducation pour laisser le champ économique au Canada. Selon le politologue, Joe Clark aurait pu accepter plus facilement que Trudeau l’adoption de la loi 101 par exemple, même s’il avait subi la pression des Anglo-Québécois. Le premier ministre conservateur se serait également montré plus favorable à la limitation du pouvoir de dépenser du fédéral.
Une vague trop forte
Selon Réjean Pelletier, l’appui au Non au Québec était trop fort pour changer selon le premier ministre en poste à Ottawa. «Je ne crois pas qu’il y avait une majorité pour la souveraineté – association au sein de la population, même s’il n’y avait pas eu les deux discours importants de Trudeau et ses engagements envers un fédéralisme renouvelé», commente-t-il. Martin Pâquet partage son avis, même s’il souligne le rôle important qu’a joué le fringant premier ministre libéral dans la campagne référendaire, en particulier lorsqu’il a pris la parole au Forum le 16 mai. «Il ne faut pas oublier qu’il a fait élire 74 députés sur 75 au Québec, rappelle ce professeur au Département d’histoire. Il a donc beaucoup de légitimité lorsqu’il lance aux Québécois: “On est là pour vous protéger!” »
Pour Martin Pâquet, les lignes de forces du Canada anglais auraient quand même conduit la fédération à ne pas trop accorder de pouvoirs au Québec, avec ou sans Trudeau. À l’entendre, la Confédération, telle que définie en 1867, se cherche depuis que le cordon ombilical est coupé avec le Royaume-Uni. La Charte des droits, le multiculturalisme et la Loi sur les langues officielles participent donc au nouveau mythe fondateur d’un pays soucieux de se distinguer des États-Unis. Cela aurait sans doute plombé les velléités souverainistes du Québec, même s’il avait négocié avec un gouvernement conservateur plutôt que libéral. Du même coup, Réjean Pelletier fait remarquer que même si René Lévesque avait gagné son référendum en 1980, les négociations se seraient avérées très difficiles avec le fédéral.
L’option souverainiste n’était pas assez mûre au Québec au sein de la population, observe le sociologue Simon Langlois. «Même si les souverainistes faisaient beaucoup de bruit, et que les photos de l’époque donnent une impression d’effervescence et de mouvement populaire avec tous ces drapeaux bleus et blancs, il ne faut pas négliger le poids du groupe silencieux.» On a pu d’ailleurs en mesurer l’importance lors du rassemblement des Yvettes au Forum qui a donné une légitimité au Non des femmes au foyer, et de ceux qui se définissaient alors comme des Canadiens français. Pour Simon Langlois, cette portion de l’électorat a joué un rôle important dans le rejet du référendum de 1980, alors que quinze ans plus tard, en 1995, c’est la classe moyenne francophone qui émerge de façon notable dans le résultat très serré du référendum. Autrement dit, ce changement structurel dans la population contribuerait davantage à la hausse du Oui dans l’opinion que tous les jeux politiques.