
«Québécoises deboutte!» clament les féministes dans les années 1970 pour mobiliser les troupes autour de la lutte pour l’avortement; une mobilisation qui se poursuit pendant plusieurs décennies. En effet, le «bill omnibus», adopté en 1969, ne permet l’interruption de grossesse que sous certaines conditions. Comme le rappelle Louise Desmarais, la femme doit obtenir l’accord de trois médecins à l’hôpital, et peu d’hôpitaux se risquent à mettre en place de tels comités. Aux yeux de cette militante féministe, ce sont les procès du docteur Morgentaler, puis la décision de la Cour suprême d’invalider le Code criminel concernant l’avortement et, enfin, l’affaire Daigle qui ont véritablement permis aux femmes de choisir leur destin. Ce droit de choisir ou non de poursuivre leur grossesse est-il pour autant garanti? «Je ne crains pas un recul au Québec, mais plutôt au niveau fédéral, souligne l’auteure de Mémoire d'une bataille inachevée - La lutte pour l'avortement au Québec. Il faut savoir que depuis six mois seulement, 60 pétitions ont été déposées à la Chambre des communes sur la question de l’avortement et pour reconnaître le droit du fœtus.»
De son côté, Diane Lamoureux, professeure au Département de science politique, constate que l’absence de loi encadrant l’accès à l’avortement fait l’affaire des féministes. Le hic, cependant, c’est que cela n’assure pas des services de qualité gratuits d’un bout à l’autre du pays. L’Île du Prince-Édouard, par exemple, n’en a pas. Et bien des régions éloignées au Québec disposent de ressources insuffisantes, sans parler des communautés autochtones. La chercheuse pointe du doigt, par ailleurs, la mobilisation des militants pro-vie et la montée de la droite évangélique à la Chambre des communes. «Nous ne sommes pas protégées par des lois qui pourraient restreindre le droit à l’avortement», indique-t-elle en citant le projet de loi C484 qui visait à punir doublement le meurtre d’une femme enceinte et ouvrait la porte au droit du fœtus. Louise Langevin, titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, partage son inquiétude. «Je ne fais pas confiance une seconde à un gouvernement qui débattrait d’une loi plus large qui comprendrait l’avortement, la grossesse et la contraception, car cela risque de faire remonter les vieux démons du contrôle de la capacité reproductive des femmes.»
Malgré tout, la titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant et Louise Desmarais se satisfont du vide juridique actuel et des jugements de la Cour suprême. Diane Lamoureux, elle, a un avis un peu différent. Elle lance l’idée d’inclure le droit à l’avortement dans la Charte des droits et libertés. Cela éviterait, selon la politologue, une législation limitative, et permettrait aussi d’obtenir davantage de services en régions éloignées, ainsi que pour les communautés autochtones. Une façon de construire la mobilisation autour de cette cause plutôt que de réagir au coup par coup à chaque attaque législative visant à restreindre le droit des femmes à disposer de leur corps. Oui, mais est-ce réaliste d’obtenir l’appui de sept provinces, condition indispensable pour modifier la charte, objectent les autres conférencières? Peut-être qu’un amendement pourrait être inclus dans la Charte québécoise des droits et libertés puisqu’il y a un consensus social autour de cette question dans la province, propose Diane Lamoureux. Une piste que les féministes exploreront peut-être à l’avenir. Tout comme celle, peut-être, d’améliorer l’information sur la contraception pour éviter d’en arriver à l’avortement, comme le suggère Louise Langevin.