La professeure Mercier, Cécilia Neige, Nicolas Mavromatis, Martin Gagné, et Laurent J. Bouyer ont invité 30 personnes dans leur laboratoire pour participer à une expérience inusitée. Les sujets devaient placer un bras dans un exosquelette robotisé servant à étudier les mouvements. Devant leurs yeux, un écran leur fournissait deux consignes visuelles successives. La première – qui marque le début de la phase de préparation motrice – les avisait qu'ils allaient bientôt devoir effectuer un mouvement. La seconde leur indiquait la cible vers laquelle ils devaient déplacer leur bras. Une de ces cibles les obligeait à effectuer une flexion du bras, alors que l'autre appelait une extension du bras.
Après une période de familiarisation avec ce protocole, les participants devaient répéter l'exercice, sauf que, cette fois, la moitié d'entre eux recevait une impulsion laser au coude lorsqu'ils effectuaient une extension du bras et l'autre moitié la recevait au moment de la flexion du bras. Comme on le devine, le cerveau établit rapidement une association entre un mouvement donné et la douleur. «Cette situation correspond à ce qui se produit pendant la phase de douleur aiguë qui suit une blessure, explique la professeure Mercier. Dans des conditions normales, les gens évitent dans la mesure du possible de faire un mouvement qui provoque de la douleur ou ils compensent en utilisant diverses stratégies. Notre expérience ne leur laissait pas le choix, ce qui nous a permis d'étudier comment le cerveau s'adaptait en pareilles circonstances.»
Les chercheurs ont mesuré la force du lien entre le cerveau et les muscles pendant la phase de préparation motrice en faisant appel à la stimulation magnétique transcrânienne. Leurs analyses montrent que, lorsque le cerveau anticipe une douleur, il réduit les messages vers le muscle dont la contraction est associée à cette douleur et il augmente les messages vers le muscle qui lui est opposé. De plus, les sujets prennent plus de temps à amorcer le mouvement douloureux et ils l'exécutent plus rapidement. «Lorsque le cerveau anticipe une douleur, il semble retarder le moment où il déclenche le mouvement et il tente de terminer le travail le plus vite possible par la suite», résume la professeure Mercier.
Cette étude revêt un intérêt sur le plan fondamental, mais elle pourrait aussi avoir des répercussions cliniques, estime la chercheuse. En effet, la stratégie de protection contre la douleur déployée par le cerveau procure des bienfaits à court terme, mais elle pourrait aussi favoriser la chronicisation de la douleur en altérant la biomécanique ou la physiologie de certaines parties du corps. «Notre hypothèse est que les personnes dont le cerveau modifie beaucoup ses commandes motrices en réponse à une douleur anticipée sont plus à risque de développer des douleurs chroniques. Notre protocole expérimental pourrait permettre de repérer plus tôt ces personnes, ce qui permettrait de leur assurer un suivi plus étroit en réadaptation.»