De façon très indirecte, la tordeuse des bourgeons de l'épinette nuit aux efforts de rétablissement du caribou forestier au Québec. En effet, ce cervidé court plus de risque d'être la proie des loups dans les forêts qui ont été ravagées par la tordeuse. C'est ce que démontre une étude publiée dans la revue PNAS par Guillemette Labadie et Daniel Fortin, du Département de biologie et du Centre d'étude de la forêt de l'Université Laval, Philip McLoughlin, de l'Université de la Saskatchewan, et Mark Hebblewhite, de l'Université du Montana.
Les chercheurs ont mis en lumière cette étonnante association en examinant les relations entre la végétation, la tordeuse, l'orignal, le loup et le caribou dans un secteur de la Côte-Nord où sévit une épidémie de tordeuse depuis 2006. Voici leurs principaux constats.
Les peuplements forestiers durement touchés par la tordeuse sont plus ouverts, ce qui favorise une régénération forestière composée davantage de feuillus, la nourriture préférée des orignaux, mais pas celle des caribous.
Entre 2006 et 2018, la densité d'orignaux a augmenté de 70% dans l'aire d'étude. L'ampleur de cette croissance dans les différents secteurs étudiés est liée à la proportion de feuillus qu'on y trouve.
Les suivis télémétriques ont permis d'établir que les caribous qui sont morts durant l'étude avaient tendance à fréquenter davantage les secteurs où les dommages causés par la tordeuse étaient plus grands. La prédation par les loups a pu être confirmée par la présence d'indices sur le terrain au moment de la récupération des colliers émetteurs.
«En créant un milieu ouvert propice aux feuillus, les épidémies de tordeuse favorisent l'augmentation des populations d'orignaux et, subséquemment, celle des loups. Les caribous sont alors davantage exposés à ce prédateur», résume la doctorante Guillemette Labadie.
Les chercheurs ont constaté que les coupes de récupération – une pratique qui consiste à récolter les arbres qui ont subi au moins une année d'infestation par la tordeuse – exacerbent cette dynamique en créant davantage d'habitats ouverts. «De plus, pour réaliser ces coupes, il faut construire des chemins forestiers qui ouvrent davantage la forêt et facilitent les déplacements des loups», ajoute l'étudiante-chercheuse.
Les effectifs du caribou forestier sont déjà dans un état précaire au Québec et le réchauffement climatique projeté, qui se situe entre deux à six degrés Celsius, n'arrangera pas les choses. «Ce réchauffement favorise le déplacement de la tordeuse vers le nord. Dans quelques décennies, toute l'aire de répartition du caribou forestier risque d'être touchée par les épidémies de tordeuse», constate Guillemette Labadie.
Présentement, les épidémies d'insectes ne sont pas prises en compte dans le plan de conservation du caribou, souligne la doctorante. «Seuls les feux et les coupes sont considérés. Or, dans notre étude, nous montrons que les épidémies de tordeuse ont un impact sur la survie des caribous, et cet impact est exacerbé par les perturbations anthropiques. Il faudrait notamment réfléchir aux répercussions des coupes de récupération. Couper des arbres infestés qui sont appelés à mourir d'ici peu semble une bonne idée pour éviter de perdre de la matière ligneuse, mais cette pratique a des répercussions très négatives sur le caribou forestier.»