Les chercheurs ont documenté l’évolution de la pratique de 2 120 médecins spécialistes de 1996 à 2000, soit avant et après l’instauration d’un deuxième mode de rémunération optionnel pour ce groupe. Jusqu’en septembre 1999, les médecins spécialistes étaient payés en fonction du nombre d’actes médicaux dispensés. À partir de cette date, ils pouvaient conserver la rémunération à l’acte ou adhérer à un mode de rémunération mixte qui repose sur un montant forfaitaire par jour de travail auquel s’ajoute un prorata des honoraires versés pour les actes dispensés. Cette réforme visait notamment à instaurer plus d’équité à l’endroit des médecins qui consacrent une partie de leur temps aux activités d’enseignement et d’administration, des actes non facturables sous l’autre mode de rémunération, et à l’endroit des médecins qui passent plus de temps avec chaque patient.
Les chercheurs ont utilisé des données provenant de la Régie de l’assurance-maladie du Québec et des sondages annuels que le Collège des médecins du Québec effectue auprès de ses membres pour évaluer les effets du nouveau mode de rémunération. Leurs analyses, qui paraissent cette semaine dans l’édition en ligne du Journal of Health Economics, indiquent que les médecins spécialistes qui ont adhéré à la rémunération mixte diminuent, dans l’année qui suit, leur volume d’actes médicaux facturables de 6 % et le nombre d’heures travaillées de 3 %, tout en augmentant de 4 % le temps alloué à chaque consultation. «Ceci suggère une substitution entre la quantité et la qualité des services médicaux», avance Bernard Fortin. Par ailleurs, les médecins ont accru de 8 % le temps consacré aux tâches d’enseignement et d’administration, mais ils ont coupé de 15 % le temps alloué à la recherche. «Le mode de rémunération mixte encourage les médecins à effectuer davantage d’activités professionnelles non rémunérées à l’acte et qui, de ce fait, peuvent être négligées, analyse le chercheur. Par contre, comme les activités de recherche ne sont reconnues dans aucun des deux modes de rémunération, les médecins qui adhèrent à la rémunération mixte peuvent les avoir délaissées au profit des tâches rémunérées. Pour contrer cet effet pervers, il faudrait instaurer un mécanisme qui lie la rémunération à la recherche.»
Sur le plan purement économique, les médecins spécialistes qui ont adhéré à la rémunération mixte semblent bien optimiser leur prestation de travail puisque, malgré une diminution des heures travaillées et des actes facturables, leurs revenus ont crû de 8 %. En 2000, 31 % des médecins spécialistes adhéraient à la rémunération mixte. En 2006, ce chiffre était passé à 46 %. «Notre étude montre que les médecins ne sont pas insensibles aux incitatifs financiers, constate le professeur Fortin. Je ne dis pas que le revenu est leur seule motivation et que la santé de leurs patients ne les intéresse pas, mais leur rémunération influence leurs comportements professionnels. Comme tout le monde, finalement.»
Même si la rémunération mixte semble avoir un effet positif sur la qualité des services, Bernard Fortin ne croit pas que le gouvernement devrait l’imposer à tous les spécialistes. «En gardant ce mode optionnel, les médecins peuvent choisir le système dans lequel ils sont le plus performants. S’ils désirent passer plus de temps avec leurs patients, ils sont libres de le faire.» Par ailleurs, ajoute-t-il, l’étude que lui et ses collègues ont menée porte sur les médecins spécialistes et pas sur tout le système de santé. «Pour déterminer si un mode de rémunération est préférable à l’autre, il faudrait aussi considérer leurs effets sur la santé des patients et sur d’autres paramètres, comme la longueur des listes d’attente. Ça fait partie des nombreux projets que Bruce Shearer et moi envisageons dans le futur.»