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La désinformation est-elle à la science ce que la kryptonite est à Superman? Peut-être, mais l'antidote à ce mal qui mine la confiance de la population en la science pourrait venir des scientifiques eux-mêmes. Voilà l'une des conclusions qui se dégagent de la table ronde «La désinformation: kryptonite de la science?», présentée le 12 mai par l'Université Laval dans le cadre de la Semaine sur la conduite responsable en recherche.
«C'est facile pour nous aujourd'hui de dire que la bonne façon de déconstruire les fausses croyances qui circulent dans la population c'est de faire ci ou ça», a souligné l'un des participants à la table ronde, Olivier Bernard. Ce diplômé en pharmacie de l'Université Laval (2004) en connaît pourtant un bout sur la question puisqu'il mène depuis 2012, avec méthode et humour, sous le pseudonyme Le Pharmachien, une lutte contre les pseudosciences. «Chacun a son idée sur ce qu'il faut faire, mais il y a des gens qui font de la recherche sur ces questions et je pense qu'il faut s'en remettre à leurs travaux pour choisir les meilleures stratégies à adopter. Les professionnels de la santé ne connaissent pas suffisamment les résultats des recherches menées dans ce domaine.»
— Olivier Bernard, sur la meilleure façon de combattre les fausses croyances
Eve Dubé, professeure au Département d'anthropologie et chercheuse à l'Institut national de la santé publique (INSPQ) et au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, fait partie de ces scientifiques qui tentent de décoder les comportements individuels en santé. «La confiance de la population à l'endroit de la science est une question complexe, constate-t-elle. On peut se méfier des compagnies pharmaceutiques, mais avoir une grande confiance dans notre médecin de famille. Le problème avec la désinformation survient lorsqu'elle se répercute sur les comportements. Par exemple, même si l'étude qui avait établi un lien entre le vaccin contre la rougeole-rubéole-oreillons et l'autisme a été maintes fois démentie, le quart des parents craignent encore ce vaccin. La fausse croyance est restée.»
— Eve Dubé
La complexité des enjeux de santé peut être déstabilisante pour une partie de la population qui, en cette période de grande instabilité, a soif de certitudes. «Les gens comprennent difficilement pourquoi à partir des mêmes faits scientifiques, les pays en arrivent à une aussi grande diversité de mesures sanitaires contre la COVID-19. La science est une chose, mais la décision politique en est une autre. La santé publique apporte des réponses, mais ce n'est qu'un des éléments considérés par les décideurs. Tout ça peut laisser les observateurs perplexes.»
Le processus scientifique lui-même peut nourrir la méfiance de la population à l'égard de la science, observe Gaston De Serres, professeur à la Faculté de médecine et chercheur à l'INSPQ et au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. «La remise en question des résultats fait partie intégrante de la démarche scientifique. Lorsque ce débat se déroule sur la place publique, ça crée du bruit autour d'enjeux complexes et le public ne sait plus quoi penser. Si on ajoute de fausses informations dans les discussions, ça devient vite très compliqué.»
— Gaston De Serres
Selon le professeur De Serres, un phénomène sociopolitique est apparu il y a quelques années. «Avant, on disait que tu as le droit à ton opinion, mais pas à tes faits. Ça ne semble plus être le cas. Même des gens éduqués adhèrent maintenant à des discours qui ne tiennent pas compte des faits scientifiques.»
Yannick Dufresne, professeur au Département de science politique de l'Université Laval, a lui-même pris la mesure de ce phénomène au cours des derniers mois. Spécialiste de l'opinion publique dans le domaine politique, il participe au projet Quorum, qui mesure l'évolution de l'humeur de l'opinion publique, des médias et des décideurs publics face à la pandémie. «Il y a une fragmentation de l'opinion publique, notamment parce que les gens ne reçoivent pas tous les mêmes messages. Ils s'exposent davantage aux messages qui cadrent avec leurs croyances», constate-t-il.
— Yannick Dufresne
L'un des coups de sonde de l'équipe du projet Quorum a montré que les chercheurs universitaires ont encore la cote dans la population. «Les universitaires sont perçus comme neutres dans les débats. Ils peuvent donc participer à la lutte contre la désinformation scientifique en faisant plus de transfert de connaissances vers la population, mais aussi en menant des travaux pour comprendre comment les gens pensent et quelles méthodes permettent le mieux de développer la capacité de jugement et l'esprit critique du public.»