Depuis 2012, de joyeux gazouillis d'oiseaux se font entendre à l'occasion dans le laboratoire de Pascale Tremblay. Pourtant, les recherches qu'on y mène sont bien loin de l'ornithologie. La professeure de la Faculté de médecine et son équipe du Centre de recherche CERVO ont recours à ces chants pour élucider certains mécanismes du langage humain. Étonnamment, les résultats qu'ils obtiennent pourraient conduire à de meilleures interventions pour contrer le déclin de la mémoire verbale de travail qui accompagne le vieillissement.
«Les chants d'oiseaux sont des stimuli auditifs dont la complexité s'apparente à celle du langage, souligne la professeure Tremblay, qui dirige le Laboratoire des neurosciences de la parole et de l'audition. Il suffit d'examiner des sonogrammes pour constater leurs nombreuses similitudes.» Pour cette raison, la chercheuse en a fait un outil de travail pour certains de ses travaux. «C'est un peu comme une langue étrangère, mais nous sommes certains qu'aucun de nos sujets ne la comprend.»
Cette complexité a permis à son équipe de tester l'hypothèse voulant que le cerveau traite différemment la parole et les autres informations auditives. «Les études réalisées antérieurement sur la question ont comparé la parole avec des sons purs ou des sons très simples. Les chants d'oiseaux nous fournissent une meilleure base de comparaison. Ce sont des stimuli auditifs complexes qui n'ont pas de signification sémantique ou lexicale», précise la chercheuse.
Lors d'une expérience menée dans son laboratoire, 18 sujets devaient écouter des paires de chants d'oiseaux séparés par une pause de 750 millisecondes. Ils devaient ensuite indiquer si ces chants étaient identiques ou non. Le même exercice a été répété avec des paires de syllabes de français québécois.
Les trois exemples ci-dessous sont des paires d'extraits de chants de flamant, de piauhau et d'oriole. Êtes-vous en mesure de dire si les sons de chaque paire sont identiques? Vous trouverez les réponses au bas de ce texte.*
Flamant sp.
Piauhau sp.
Oriole sp.
Lors d'une écoute sur deux, les chercheurs appliquaient, pendant la pause, une stimulation magnétique transcrânienne de façon à interférer avec le travail des neurones situés dans une région du cerveau impliquée dans la mémoire verbale de travail. «Il s'agit d'un type de mémoire à très court terme, celle qu'on utilise, par exemple, pour retenir une adresse pendant qu'on nous donne les directions pour s'y rendre. Avec l'âge, cette mémoire diminue beaucoup», précise la professeure Tremblay.
Les résultats de l'expérience montrent que la stimulation magnétique transcrânienne influence les performances des participants tant pour les chants d'oiseaux que pour les syllabes de français québécois. «Nos données suggèrent que la mémoire verbale de travail traite les sons complexes de façon similaire, qu'il s'agisse de voix humaine ou de chant d'oiseaux. Ces résultats appuient l'idée qu'il existe un centre de stockage à court terme des stimuli auditifs dans une région du cerveau», résume la chercheuse.
Les conclusions de cette étude permettent déjà d'améliorer les modèles neurobiologiques du langage. «À moyen terme, une meilleure compréhension des rouages du langage aidera à orienter les interventions cliniques – qu'il s'agisse de séances de stimulation magnétique transcrânienne ou d'exercices de mémoire – qui sont utilisées pour ralentir le déclin de la mémoire verbale de travail.»
L'étude publiée dans Experimental Brain Research est signée par Isabelle Deschamps, Melody Courson et Pascale Tremblay, de l'Université Laval, et par Anthony Steven Dick, de la Florida International University.
* Les extraits de chants de piauhau sont identiques. Ceux des flamants et des orioles sont légèrement différents. Une stimulation magnétique transcrânienne appliquée dans une région du cerveau impliquée dans la mémoire verbale de travail affecterait votre capacité à distinguer ces sons.