
Au cours des deux dernières décennies, le Centre STELA a constitué une banque de quelque 600 bactéries lactiques provenant d'aliments et d'animaux. Ismaïl Fliss et son équipe utiliseront cette collection inédite pour sélectionner les souches les plus efficaces contre les bactéries indésirables.
— Marc Robitaille
Voilà le type de projets que le professeur du Département des sciences des aliments entend multiplier au cours des prochaines années grâce à la Chaire de recherche industrielle CRSNG sur les activités métaboliques et la fonctionnalité des cultures lactiques bioprotectrices (METABIOLAC). Cette chaire a été lancée sur le campus, le 5 décembre, en présence des partenaires qui y investiront 2,7 M$ d'ici cinq ans, soit le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Consortium de recherche et innovations en bioprocédés industriels au Québec, Cascades Canada, Novalait, Groupe Sani Marc, la Coopérative fédérée de Québec, Olymel, Biena et Fumoir Grizzly.
Les alliés obscurs de cette chaire sont les bactéries lactiques. Il s'agit de bactéries naturellement présentes dans les sols et dans la flore microbienne des animaux et des humains, rappelle Ismaïl Fliss. Leur nom vient du fait qu'elles transforment les sucres en acide lactique. Cet acide et les autres acides produits par ces bactéries abaissent le pH d'un milieu, le rendant moins hospitalier pour leurs rivales. De plus, certaines bactéries lactiques synthétisent des peptides, appelés bactériocines, qui inhibent la croissance d'autres espèces bactériennes indésirables. «Notre objectif est d'utiliser les armes que les bactéries lactiques déploient pour rivaliser avec leurs compétiteurs afin de développer des outils pouvant remplacer les agents de conservation chimiques ou le sel dans les aliments ainsi que les antibiotiques dans les élevages», explique le professeur Fliss.
La première tâche à laquelle s'attaquera l'équipe de la Chaire est de sélectionner des souches de bactéries lactiques particulièrement efficaces contre les pathogènes. «En général, il y a une correspondance entre la provenance d'un pathogène et celle de la bactérie lactique capable de le contrer, souligne le chercheur. Par exemple, la souche de Carnobacterium divergens que nous utilisons pour le saumon fumé a été isolée à partir d'un autre produit marin, la moule. Nous allons orienter nos recherches de souches antimicrobiennes et de bactériocines en fonction des besoins de nos partenaires.»
Les chercheurs disposent d'un précieux outil dans leur quête de nouveaux antimicrobiens. «Au cours des 20 dernières années, le Centre de recherche en sciences et technologie du lait (STELA) a monté une collection d'environ 600 souches de bactéries lactiques provenant d'aliments ou d'animaux, souligne le professeur Fliss, qui est également directeur de ce centre. Ce matériel vaut de l'or et nous prévoyons continuer à enrichir la collection.»
Les travaux de la Chaire visent aussi à caractériser les bactériocines produites par les bactéries lactiques. Ces peptides peuvent être utilisés comme agents de conservation alimentaire, seuls ou en conjonction avec les souches qui les produisent. De plus, le professeur Fliss entrevoit un autre usage pour ces molécules. «Au Canada, on utilise de faibles doses d'antibiotiques comme facteurs de croissance dans les élevages de volaille, de porc et de veau. Cette méthode est maintenant interdite en Europe en raison du risque de développement de résistance chez les microorganismes pathogènes. Le Canada s'apprête à adopter un règlement similaire et nous croyons que certaines bactériocines pourraient constituer une solution de remplacement très intéressante.»
La création de la Chaire METABIOLAC a permis l'embauche d'une nouvelle professeure, Marie Filteau, qui collaborera aux travaux. Au cours des cinq prochaines années, la Chaire formera 2 postdoctorants, 6 doctorants et 5 étudiants à la maîtrise dans un domaine prometteur pour l'économie canadienne. «L'appui des nombreux partenaires industriels permettra la commercialisation de ces composés naturels qui sauront répondre à un défi mondial dans les prochaines années», a souligné Bettina Hamelin, vice-présidente de la Direction des partenariats de recherche du CRSNG. Les résultats des travaux de recherche de la Chaire auront des retombées concrètes pour les partenaires industriels et pour l'ensemble de la société, a fait valoir le recteur Denis Brière. «Une fois de plus, l'Université Laval fait preuve de leadership en mettant son expertise de pointe au service des collectivités.»

De gauche à droite: le doyen de la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, Jean-Claude Dufour, la vice-présidente, Direction des partenariats de recherche du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Bettina Hamelin, le titulaire de la Chaire, Ismaïl Fliss, la vice-rectrice adjointe à la recherche et à la création, Marie Audette, et le recteur de l'Université Laval, Denis Brière.
Photo: Marc Robitaille