
Le véhicule sous-marin télécommandé baptisé Astrid
— Yan Doublet - Université Laval
Une fine pluie tombe sur les montagnes embrumées de la baie Éternité, dans le fjord du Saguenay. Sur le pont du navire, l'équipage s'active autour d'un intriguant dispositif muni de bras articulés, de capteurs et de caméras. Astrid, le véhicule sous-marin télécommandé — ou ROV, pour remotely operated vehicle — s'apprête à plonger.
Piloté à distance depuis un ordinateur, cet appareil transmet en temps réel images et données scientifiques sur les fonds marins. Un technicien donne les dernières instructions par radio, tandis qu'une grue se met en mouvement, son long câble tendu guidant l'engin vers la mer. Lentement, le ROV est soulevé et immergé dans l'eau.
Nous sommes à bord de l'Amundsen, un brise-glace de la Garde côtière canadienne.
Véritable fleuron de la recherche nordique, ce navire est utilisé, plusieurs mois par an, pour des expéditions scientifiques. Outre un vaste arsenal d'équipements de recherche, il dispose de laboratoires et d'infrastructures conçus pour accueillir océanographes, climatologues, géologues marins, glaciologues et autres chercheurs venus du Canada et de l'international.
La mission scientifique du brise-glace est gérée par l'organisation Amundsen Science, à l'Université Laval, en collaboration avec la Garde côtière. Chaque été, en juin, cette sortie sur la rivière Saguenay permet de former le personnel et de tester les équipements qui seront déployés en Arctique.
Un tel séjour se prépare bien en amont. «Dès l'automne, les programmes de recherche déposent leur candidature pour embarquer à bord. Pendant l'hiver, on planifie la saison avec la Garde côtière. Puis viennent les travaux sur le navire pour installer nos équipements scientifiques», explique Alexandre Forest, directeur exécutif d'Amundsen Science.

L'Amundsen en direction du fjord du Saguenay, où l'attendent 4 jours d'essais en mer.
— Yan Doublet - Université Laval
Un immense laboratoire flottant
Pour l'auteur de ces lignes, il s'agissait d'un second embarquement à bord de l'Amundsen. Même après un premier séjour en 2021, l'ampleur du navire reste frappante. Le brise-glace de 98 mètres de long impressionne par ses dédales remplis d'équipements de pointe et l'ambiance de fourmilière qui y règne.
Des matelots aux professionnels de recherche, chacun s'affaire à sa tâche, contribuant au déploiement des appareils scientifiques. Rien n'est laissé au hasard. À bord, chaque geste compte, chaque minute aussi.
Derrière cette logistique réglée au millimètre près se trouve Anissa Merzouk, coordonnatrice de la recherche océanographique d'Amundsen Science. Véritable cheffe d'orchestre, elle jongle entre les objectifs des programmes de recherche et la réalité du terrain. «Chaque année apporte son lot de défis, mais il n'y a jamais rien d'insurmontable. C'est notre philosophie. Il y a toujours une solution, un moyen de déployer un nouvel appareil ou d'aller étudier un endroit inédit», dit-elle, tout en gardant la sécurité de l'équipage au cœur de ses priorités.
Les communautés nordiques, partenaire clé
Fraîchement revenu des essais en mer le 25 juin, le navire reprendra le large pour son expédition scientifique qui le mènera à Goose Bay, à Terre-Neuve-et-Labrador. Ensuite, cap sur Iqaluit, baie Resolute, les îles de la Reine-Élizabeth et enfin Tuvaijuittuq, avec plusieurs escales dans des communautés inuites. Le retour au port de Québec est prévu pour le 20 octobre.
De Blanc-Sablon aux confins de l'archipel arctique, en passant par le lac Melville, plusieurs zones seront étudiées pour la première fois par l'Amundsen. «Nous pourrons suivre la productivité biologique à mesure que l'on remonte vers le Nord, grâce à différents programmes de recherche ayant chacun leurs objectifs. Ce sera fantastique de pouvoir récolter autant de données», se réjouit Alexandre Forest.
Parce qu'elles vivent sur le territoire nordique et en sont les premières concernées, les communautés inuites jouent un rôle important dans les missions scientifiques de l'Amundsen. Au printemps, une tournée des villages du Nord a permis de croiser les savoirs et d'explorer les possibilités de collaboration. Pour soutenir cette démarche, une personne a d'ailleurs été engagée spécialement afin de faire le lien avec les communautés et de renforcer les partenariats.
— Alexandre Forest, directeur exécutif d'Amundsen Science

Guillaume Blais vérifie les derniers réglages de la mini-chambre benthique avant sa mise à l’eau. Cet instrument permet d’analyser les sédiments et l’eau de mer.
— Yan Doublet - Université Laval
Départ pour l'inconnu
Guillaume Blais prendra part au troisième segment de l'expédition, qui sillonnera la baie de Baffin. Doctorant sous la supervision du professeur Philippe Archambault de la Faculté des sciences et de génie, il s'intéresse au taux de carbone dans les fjords. «Ce sera mon quatrième et dernier séjour sur l'Amundsen, confie-t-il. J'ai hâte d'y être. On ne sait jamais à quoi s'attendre: il y a toujours une part d'imprévu. Je suis un peu fébrile.»
Chose certaine, il ne changerait de décor pour rien au monde. «J'ai la chance de travailler dans les fjords, où les paysages sont merveilleux. Il n'y a pas d'arbre, juste de la roche. Travailler avec des géologues à bord, ça permet de mieux comprendre l'histoire de ces formations. C'est passionnant.»
Traquer l'invisible
Chimiste océanographe à l'Université de Victoria, Jay Cullen analyse les métaux présents dans les eaux arctiques: fer, zinc, manganèse, cadmium, plomb. Micronutriments essentiels ou polluants insidieux, ces substances affectent directement la santé des écosystèmes marins.
«J'étudie les formes chimiques que prennent ces éléments, leurs concentrations, ainsi que l'impact potentiel des activités humaines», dit celui qui scrutera les eaux des îles de la Reine-Élizabeth, une région recouverte de glace épaisse et particulièrement vulnérable aux changements climatiques.

Pour ses travaux, Jay Cullen a recours à une rosette, un appareil muni de bouteilles non métalliques, évitant toute contamination croisée, qui prélèvent des échantillons d'eau à différentes profondeurs. L'ouverture et la fermeture des bouteilles sont déclenchées depuis la salle de contrôle grâce à un câble en Kevlar doté d'un fil conducteur.
— Yan Doublet - Université Laval
La détection des traces de métaux est un travail qui exige minutie et précision. Pour analyser les prélèvements, l'équipe a créé un «laboratoire propre» sur le navire, une première au Canada. Cet espace d'un blanc immaculé et rempli en continu d'air filtré évite la contamination croisée avec des polluants comme la poussière et les microbes. Pour y entrer, il faut porter un survêtement et respecter toute une série de mesures. «C'est définitivement l'endroit le plus propre sur l'Amundsen. Après les cuisines, bien sûr!», lance le chercheur en riant.
Ces métiers de l'ombre
À bord du brise-glace, une autre mission s'accomplit loin des équipements de recherche: faire fonctionner le navire. Dans les entrailles du bâtiment, là où règnent la chaleur des moteurs et le grondement constant des machines, Martin Desaulniers et Richard Blanchette veillent au bon état des systèmes de propulsion, d'énergie et de sécurité.
Dans le Nord, peu de pièces de rechange à portée de main: tout doit être fiable, autonome… et ingénieux. L'Amundsen, véritable concentré de technologie, réutilise la chaleur de ses moteurs et produit sa propre eau potable — 16 000 litres par jour — à partir de l'eau de mer.
«Pour faire de la mécanique sur un navire, il faut être créatif et débrouillard. C'est un terrain de jeu pour ceux qui aiment toucher à tout. Quand il manque un outil, on le fabrique. On ne sait pas toujours où on va, mais on s'organise pour y arriver», raconte Martin Desaulniers.

Richard Blanchette, mécanicien senior, et Martin Desaulniers, chef mécanicien, ne se font pas prier pour faire visiter les coulisses du navire.
— Yan Doublet - Université Laval
Autre métier essentiel à bord: celui de cuisinier. Avec quelque 80 membres d'équipage qui travaillent 24 heures sur 24, il faut une organisation bien huilée pour nourrir les troupes dans l'Arctique, un environnement isolé où le ravitaillement est rare.
Dans les cuisines du navire, le chef Yann Robert et sa petite équipe veillent à offrir des repas réconfortants, qui redonnent de l'énergie et du moral. Et il ne fait pas les choses à moitié. Sa bavette de bœuf, fondante et savoureuse, et son wrap au tofu un brin épicé restent dans bien des mémoires.
«Tous nos plats sont faits maison. Les fonds de veau, les bouillons, les soupes: rien ne vient de la poudre, tout est préparé à partir de zéro, souligne-t-il. Ça prend du temps, mais c'est ce qui me motive. C'est même écrit dans notre description de tâches: on est là pour rendre l'équipage heureux.»

Yann Robert a travaillé dans le milieu de la restauration classique pendant 35 ans avant de joindre la Garde côtière en 2017. On le voit ici avec Andrew Wall, son précieux assistant.
— Yan Doublet - Université Laval
Une expérience des plus marquantes
Les essais en mer terminés, il est difficile de décrire la richesse de l'expérience vécue. Séjourner à bord de l'Amundsen, même pour quelques jours, c'est plonger dans un milieu de travail rigoureusement planifié, où sciences, logistique et savoir-faire technique s'arriment. C'est aussi un aperçu concret des efforts déployés pour mieux comprendre ce monde fragile, en pleine mutation, qu'est le Nord.

Le reporter Matthieu Dessureault et le photographe Yan Doublet
— Véronique Rochefort - Amundsen Science
L'Amundsen en quelques chiffres

— Photo: Yan Doublet / montage graphique: Johanne Côté – Université Laval
Les essais en mer en 10 photos
