Une équipe de recherche de l'Université Laval qui étudie la présence de gènes de résistance aux antibiotiques dans l'air a eu recours à une méthode ingénieuse et économique pour obtenir des échantillons de toutes les régions du Canada sans avoir à se déplacer. Elle y est arrivée en ayant recours au filtre d'habitacle de 477 automobiles de 51 localités canadiennes.
«Des concessionnaires automobiles, des gestionnaires de flotte de véhicules municipaux et des personnes que nous connaissons à travers le pays ont accepté de récupérer les filtres d'habitacle de voitures, de les placer dans des sacs stériles et de les faire parvenir à notre labo», explique le responsable du projet, Paul George, professeur au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique de l'Université Laval, et chercheur au Centre de recherche de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec-Université Laval.
Comme leur nom l'indique, ces filtres servent à purifier l'air extérieur avant qu'il entre dans l'habitacle d'une auto par l'entremise du système de ventilation. Les particules fines telles que les poussières, les bactéries, les champignons microscopiques et les grains de pollen présents dans l'air sont captées par ces filtres. Pour cette raison, il est recommandé de les changer au moins une fois par année ou tous les 20 000 kilomètres environ. «Nous avons demandé à notre réseau de collaborateurs de nous faire parvenir ces filtres au moment de leur remplacement», explique le professeur George.
Les microorganismes produisent naturellement des composés – appelés antibiotiques – destinés à éliminer leurs concurrents. Certaines souches de bactéries possèdent des mécanismes de défense contre ces antibiotiques. Elles survivent mieux et les gènes qui leur confèrent cette résistance deviennent plus communs dans l'environnement. Ces bactéries peuvent aussi transférer leurs gènes de résistance à leurs congénères ou à des bactéries d'une autre espèce, ce qui accélère la propagation de cette résistance.
«L'utilisation très répandue des antibiotiques en agriculture et en médecine a favorisé la prolifération de souches bactériennes possédant des gènes de résistance à des antibiotiques qui sont utilisés pour soigner les humains ou les animaux, souligne le professeur George. Il s'agit d'un problème de santé publique important, sur lequel insiste régulièrement l'Organisation mondiale de la santé, parce que cette résistance réduit progressivement l'efficacité des antibiotiques prescrits contre les maladies infectieuses chez l'humain.»
— Paul George, au sujet du danger que pose la dissémination aérienne des gènes de résistance aux antibiotiques
Grâce aux analyses effectuées à partir des bactéries qui s'étaient accumulées sur les filtres d'habitacle, l'équipe du professeur George a été en mesure de caractériser les bactéries présentes dans l'air des six grandes régions géographiques du Canada (Colombie-Britannique, Prairies, Ontario, Québec, Atlantique, Territoires) ainsi que les gènes de résistance qui circulent dans ces communautés bactériennes. Les résultats, qui viennent de paraître dans la revue Environmental DNA, montrent que chaque région canadienne a une signature de gènes de résistance qui lui est propre et qui résulte, en partie, des activités humaines et de l'utilisation locale de certains antibiotiques.
«Ces résultats suggèrent que le recours aux filtres d'habitacle des voitures est un moyen efficace et économique de recueillir des échantillons d'air permettant un suivi des tendances dans l'abondance des gènes de résistance dans chaque région du pays. Avec mon équipe, j'espère être en mesure de mettre sur pied un réseau canadien de surveillance à long terme des gènes de résistance présents dans l'air.»
Les autres signataires de l'étude parue dans Environmental DNA sont Florent Rossi, Marc Veillette, Amélia Bélanger Cayouette, Samantha Leclerc, Cindy Dumais, Nathalie Turgeon et Caroline Duchaine.