Le petit renne au nez rouge et ses semblables ont-ils beaucoup en commun avec les caribous du Nord québécois? Plus qu'on pourrait le croire, suggèrent les travaux qu'une équipe internationale a publiés plus tôt cette année dans la revue Evolution Letters. En effet, malgré des siècles de domestication, le génome des rennes domestiques d'Eurasie est resté étonnamment similaire à celui des caribous sauvages qui vivent en Norvège ou dans le nord du Québec.
Signalons que l'Eurasie abrite des populations sauvages et des populations domestiques de renne, un cervidé nordique connu sous le nom de caribou en Amérique du Nord. «Les caribous et les rennes, qu'ils soient domestiques ou sauvages, appartiennent à la même espèce, Rangifer tarandus. Par contre, il y a environ 3000 ans, des populations de nomades de Scandinavie auraient domestiqué cette espèce pour en exploiter la viande et la peau. De plus, elles l'ont longtemps utilisée pour tirer des traîneaux et pour transporter des charges», rappelle l'un des signataires de l'étude, Steeve Côté, professeur au Département de biologie de l'Université Laval, chercheur au Centre d'études nordiques et directeur du programme Caribou Ungava.
Ces quelques millénaires de domestication ont-ils laissé des traces? Très peu, du moins pas à l'échelle globale du génome, démontrent les comparaisons génomiques effectuées à l'aide d'échantillons prélevés sur 9 caribous sauvages du Québec et de Norvège et sur 23 rennes domestiques de Norvège, de Sibérie et de Chine. En effet, les scientifiques ont constaté qu'il y avait peu de différences importantes entre les populations sauvages et domestiques du caribou.
Par ailleurs, la domestication ne semble pas avoir eu d'incidence majeure sur les gènes associés à la docilité. «Il s'agit plutôt d'une caractéristique inhérente à l'espèce et non le résultat d'une pression sélective pour ce caractère. Les caribous sauvages ne sont pas facilement effarouchés par la présence des humains, contrairement à d'autres cervidés comme le cerf de Virginie», souligne le professeur Côté.
— Steeve Côté, au sujet de la docilité des rennes
L'équipe de recherche a estimé l'écart génomique qui sépare le caribou sauvage du renne domestique grâce un indicateur appelé indice de fixation. Elle l'a ensuite comparé à ce qui a été rapporté pour d'autres espèces domestiques comme le chien, le bœuf et le mouton, qui ont encore des congénères sauvages. Résultat? Cet indice est nettement plus faible pour le caribou que pour les autres espèces.
«Contrairement aux autres espèces domestiques, le renne n'a pas été soumis à une intense pression sélective ni à des accouplements dirigés pour sélectionner des caractères recherchés, souligne Steeve Côté. Les rennes domestiques sont gardés en semi-liberté dans de grands groupes et ils se reproduisent, en général, avec le partenaire de leur choix.»
Malgré les similitudes entre les populations sauvages et domestiques de caribou, il existe tout de même des variations génétiques entre les populations de Rangifer tarandus provenant des différents pays étudiés, poursuit le chercheur. «Elles reflètent les adaptations aux conditions locales, comme celles qui distinguent les écotypes de caribous migrateurs, forestiers et montagnards du Québec.»
Le renne domestique et le caribou sauvage sont-ils à ce point similaires qu'on pourrait faire passer sans souci un individu d'un groupe à un autre? «À priori, ça pourrait fonctionner, avance le professeur Côté. Par contre, je ne sais pas comment le renne domestique trouverait la migration de plusieurs centaines de kilomètres! C'est la même espèce, mais ils ne sont pas tout à fait identiques. Il y a eu des changements sur plusieurs générations et le renne domestique n'a donc pas un génotype aussi bien adapté aux conditions vécues par le caribou. Il est très probable que ses chances de survie diminueraient.»