18 novembre 2024
Sortie de secours ou cul-de-sac? Un rapport sur les enjeux du permis de travail ouvert
Cette recherche, pilotée par l'Université Laval, donne une voix aux travailleuses et travailleurs victimes d'abus ayant un permis fermé qui tentent de se prévaloir du programme de permis ouvert
Le permis fermé, qui lie une personne migrante temporaire à un employeur spécifique, a reçu plusieurs critiques, notamment en matière de violation des droits. Depuis 2019, les personnes victimes d'abus ou de violence dans le cadre de leur emploi peuvent faire une demande de permis ouvert pour chercher un nouvel employeur. Ce programme ne règle toutefois pas le problème, selon la professeure Danièle Bélanger, de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique. Elle met en lumière les enjeux de ce permis dans un rapport, rédigé en collaboration avec des organismes communautaires.
«Ce programme ouvert crée de nouvelles formes de vulnérabilité pour les personnes qui tentent de s'en prévaloir. Ce qu'on entend des travailleuses et travailleurs, c'est une désillusion, un désarroi, un sentiment de trahison», rapporte la professeure Bélanger, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales.
L'équipe de recherche a recueilli l'expérience de 47 personnes migrantes qui ont fait une demande d'un permis ouvert. «Ça donne un visage, une voix aux personnes qui tentent de se prévaloir du programme», souligne la chercheuse. En plus des embûches, le rapport met de l'avant les recommandations des travailleuses et travailleurs rencontrés.
Une voie méconnue
Parmi les enjeux soulevés, le rapport souligne l'absence d'information sur le programme de permis ouvert. Les personnes interrogées rapportaient n'avoir eu connaissance du programme qu'après une demande de soutien à un organisme communautaire. «On parle de découverte fortuite ou par hasard. Il n'y a pas de mécanismes pour informer de manière systématique les personnes qui entrent au Canada avec un permis de travail fermé», indique la professeure Bélanger.
Les travailleuses et travailleurs participants estiment qu'il est impératif d'informer les personnes migrantes, par l'entremise de séances d'information, par exemple.
Un processus difficile
Le rapport rappelle que près de 50% des demandes de permis ouverts sont refusées. Selon la professeure Bélanger, ce chiffre pourrait entre autres s'expliquer par le fardeau de la preuve de violences ou d'abus qui revient à la personne migrante. «Elle doit fournir des éléments comme des enregistrements, des échanges de textos, des photos, mais c'est très difficile pour des personnes dans ces situations de recueillir ces preuves et cette collecte peut l'exposer à d'autres abus. Ça réduit nécessairement le nombre de dossiers complets ou jugés assez complets.»
L'accessibilité du processus de demandes est aussi un frein pour les personnes migrantes. «C'est très difficile pour une personne migrante de faire une demande par elle-même, surtout si elle ne maîtrise pas l'anglais ou le français. Les organismes communautaires qui aident au dépôt de dossiers estiment entre 20 et 30 heures pour la préparation d'un bon dossier par un intervenant juridique qui connaît bien le programme», ajoute la chercheuse.
Les travailleuses et travailleurs participants recommandent notamment que le programme reconnaisse la difficulté de réunir les preuves et d'en tenir compte dans l'évaluation des dossiers, ce qui n'est pas le cas actuellement.
— Danièle Bélanger, professeure au Département de géographie
Un manque de soutien
Un élément qui a marqué la professeure Bélanger est l'abandon de la part des institutions. «Oui, le gouvernement offre une voie de sortie pour les situations d'abus, mais il n'y a aucun service pour les personnes.» Elle rappelle que beaucoup de ces gens ont vécu des événements, des traumatismes psychologiques ou des blessures physiques, et il n'y a aucune prise en charge.
«Lorsqu'ils quittent leur employeur, ça implique souvent de quitter leur logement s'il est fourni par lui. Ils tombent dans une zone d'abandon étatique. Ce sont seulement les organismes communautaires qui tentent de colmater ces brèches, pour aider à trouver un logement ou un nouvel emploi, par exemple.»
Les personnes migrantes participantes demandent à ce que les organismes, qui ont un rôle bénéfique, aient des financements destinés à améliorer leurs services. Elles recommandent également une collaboration entre les agents d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et les organismes communautaires.
Un statut précaire
L'enjeu du statut et des droits qui y sont associés est également soulevé par la professeure Bélanger. Le problème vient notamment de la multigouvernance. «Le gouvernement fédéral octroie ce permis, mais il peut entraîner la perte de droits provinciaux comme la RAMQ», explique-t-elle.
Garantir les droits sociaux et un accès aux services essentiels fait d'ailleurs partie des recommandations des travailleuses et travailleurs. Ils demandent aussi de renforcer la responsabilité gouvernementale dans la protection des droits, avec des visites ou des inspections surprises, par exemple.
Leur dernière recommandation est d'attaquer la source du problème: le permis de travail fermé. Selon eux, même si le programme de permis ouvert était amélioré, cela ne résoudrait pas le problème qui se trouve à la source de l'exploitation au travail.
Avec ce rapport, Danièle Bélanger et son équipe souhaitent sensibiliser la population aux enjeux causés par les permis de travail fermés. «Cela est d'autant plus important puisque nous vivons une période de politisation de l'immigration au Québec et Canada, ce qui mène à beaucoup de désinformation, précise-t-elle. Aussi, nous allons relayer ces résultats aux ministères fédéraux concernés et espérons que ce rapport pourra alimenter l'évaluation de leurs programmes.»