Du 27 octobre au 2 novembre, 30 personnes se sont rendues sur un territoire autochtone de la Côte-Nord, d'abord sur le Nitassinan, le territoire ancestral de la Nation innue de Pessamit, au nord de Forestville, ensuite chez les Innus Essipit. Le groupe était composé de 18 professionnelles et professionnels, notamment de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l'Université Laval, et de 12 étudiantes et étudiants.
Jean-Michel Beaudoin est professeur au Département des sciences du bois et de la forêt et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement en foresterie autochtone. Depuis 2018, il organise chaque année avec son équipe de la chaire une tournée de quelques jours en territoire autochtone. Celles-ci ont lieu depuis 2019 durant la semaine de lecture d'automne sur le site Kanapeut. Depuis 2021 s'est ajoutée une journée d'échange complémentaire à Essipit.
«Ce voyage reste une activité extraordinaire, affirme-t-il. Les gens qui vivent l'expérience en reviennent transformés. D'une part, il y a les échanges interculturels et la rencontre avec la famille Kanapé. Et depuis quelques années, à Essipit, les gens nous parlent autant de leur communauté que de droits autochtones, de territoire, d'aménagement des forêts, des initiatives locales. Cette expérience immersive sort du cadre ordinaire de l'enseignement universitaire.»
Une contribution étudiante significative
Les visiteuses et visiteurs avaient dans leurs rangs une étudiante à la maîtrise sur l'entrepreneuriat et les entreprises autochtones dans le secteur forestier, un étudiant en études doctorales sur le caribou, une étudiante et professionnelle en études doctorales sur le lien entre santé et forêt.
«Ces spécialités donnaient une profondeur aux échanges», explique Joanie St-Pierre, coordonnatrice d'activités à la chaire.
Le groupe comptait également une étudiante innue originaire de Mashteuiatsh. Kuniss Drouin avait précédemment suivi le cours Introduction à la foresterie autochtone, donné par le professeur Beaudoin. Elle est maintenant inscrite au certificat en études autochtones. Selon la coordonnatrice, l'étudiante a grandement contribué au partage, aux échanges, en s'investissant dans le groupe.
L'objectif général de l'activité d'immersion vise à favoriser la rencontre, le rapprochement et la compréhension des réalités autochtones. Selon Joanie St-Pierre, il s'agit d'une occasion de formation distincte de vivre le territoire.
«Autant on peut partager des savoirs et des connaissances à travers des cours magistraux, dit-elle, autant il y a vraiment quelque chose de puissant dans la rencontre en nature. Je pense que cette approche expérientielle crée des ponts et favorise le tissage des liens entre les membres du groupe. Elle permet de se rendre compte que le territoire fait partie intégrante de l'identité. C'est l'une des raisons pour lesquelles c'est une expérience unique et mémorable.»
La coordonnatrice insiste sur la relation fondamentale et le grand respect porté aux animaux. «Les animaux sont essentiels à la survie des peuples autochtones, soutient-elle. L'expérience immersive invite à entrer différemment en relation avec la forêt. On voit comment la forêt subvient aux besoins des peuples autochtones comme garde-manger, pharmacie, garde-robe. Ils faisaient tout à base de ça. Donc des connaissances très riches sur l'utilisation des fourrures, des os comme outils. La notion d'interconnexion où tout est lié a été abordée. Quelque chose de très fort. Cela amène beaucoup de réflexions sur notre façon de concevoir le monde.»
Mokusham et makusham
Le temps fort de l'expérience d'immersion a été la préparation d'un grand festin traditionnel, le mokusham, suivi d'une danse traditionnelle, le makusham. Ce repas est fait à partir des fruits de la cueillette, de la trappe, de la chasse et de la pêche. Il se prépare durant toute une journée. Chacune et chacun contribuent à la préparation du festin. «Habituellement, indique Joanie St-Pierre, le festin est suivi d'une petite célébration en guise de reconnaissance, d'une danse traditionnelle en forme de cercle.»
En fin de soirée, le groupe se retirait pour la nuit dans des campements traditionnels, des tentes aménagées avec des toiles blanches de protection. «La nuit, la température descendait à -10 degrés Celsius, raconte-t-elle. Dans chaque tente, on devait chauffer le poêle à bois pour être confortable. Celles et ceux qui dormaient directement sous le sapinage respiraient l'odeur du sapin qui apaise.»
Des aînés innus, des experts du savoir et des gardiens du territoire ont encadré les visiteuses et visiteurs. Parmi ces derniers, des experts de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique et des professeurs à la retraite ont apporté leur contribution. «On a eu droit à un beau mélange de savoirs traditionnels et de savoirs scientifiques, affirme-t-elle. De petites capsules scientifiques permettaient de compléter les enseignements. Je pense que c'est une clé vers un rapprochement.»
Une chaire pour favoriser la rencontre de l'autre
Jean-Michel Beaudoin connaît bien la communauté d'Essipit puisqu'il y a réalisé sa recherche de doctorat de 2010 à 2014. Selon lui, la journée d'échange complémentaire à cet endroit a permis au groupe de revenir sur la réalité actuelle de cette communauté.
«Les initiatives de la chaire, dit-il, que ce soit la tournée avec immersion en territoire autochtone ou nos stages étudiants en foresterie en milieu autochtone, font partie d'une discussion avec les partenaires de la chaire. Un des principes clés de notre démarche est d'aller à la rencontre de l'autre, de se parler. Nous sommes rendus à 22 partenaires aujourd'hui, dont 9 partenaires autochtones. Ils voulaient des contacts. C'est pour ça que la tournée et les stages, c'est très porteur. Une collaboration étroite avec le milieu est à l'origine de ces belles initiatives.»
Le 28 novembre, au pavillon Gene-H.-Kruger de l'Université Laval, la chaire tiendra une journée de colloque suivie d'une soirée culturelle. Le colloque aura pour thème «Forêts et peuples autochtones: vers une vision holistique pour la foresterie».