On sait que l'aspirine peut prévenir la majorité des cas sévères de prééclampsie, une forme d'hypertension de grossesse qui peut avoir de graves répercussions pour la mère et l'enfant. Toutefois, en raison des propriétés antiplaquettaires de ce médicament, les médecins ne peuvent le prescrire à toutes les femmes enceintes. Une étude publiée dans la revue Hypertension par une équipe internationale dirigée par Emmanuel Bujold de l'Université Laval propose une solution à ce dilemme. En effet, la nouvelle méthode de prédiction du risque de prééclampsie qu'ils ont mise à l'essai permettrait d'identifier tôt pendant la grossesse plus des trois quarts des femmes qui développeront une prééclampsie sévère nécessitant un accouchement avant la 34e semaine de grossesse.
«La prééclampsie est causée par une mauvaise implantation du placenta dans l'utérus, ce qui fait en sorte que le sang se rend moins bien jusqu'au bébé. Pour compenser, la pression artérielle de la mère augmente, ce qui peut se répercuter sur le fonctionnement de ses reins, de son foie et de son cerveau. Le problème est généralement diagnostiqué après la 20e semaine de grossesse. Lorsque la prééclampsie devient sévère, les médecins n'ont d'autre choix que de procéder à l'accouchement, même si le développement du fœtus n'est pas terminé», explique Emmanuel Bujold, professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval, chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval et obstétricien-gynécologue au CHU de Québec.
Il existe heureusement une façon très efficace pour prévenir cette forme d'hypertension. «La prise quotidienne d'aspirine à partir de la 11e ou 12e semaine de grossesse prévient jusqu'à 90% des cas de prééclampsie qui conduisent à des accouchements avant la 34e semaine de grossesse. Le défi consiste à identifier très tôt les femmes enceintes qui doivent prendre de l'aspirine», souligne le professeur Bujold.
La méthode présentement utilisée au Canada et aux États-Unis pour identifier les femmes à risque de prééclampsie repose sur des variables telles que l'âge et le poids de la mère, le fait qu'il s'agisse d'une première grossesse, qu'on soit en présence d'une grossesse multiple, que la mère ait une pression sanguine élevée ou que la grossesse résulte d'une fécondation in vitro. «Avec cette approche, on donne de l'aspirine à plus d'une femme sur trois, mais on dépiste à peine la moitié des femmes qui souffriront de prééclampsie», souligne le professeur Bujold.
Dans l'espoir de faire mieux, son équipe a mis à l'essai une nouvelle approche mise au point au Royaume-Uni. «Elle combine des informations médicales sur la mère ainsi que deux indices indirects de la qualité de l'implantation du placenta dans l'utérus. Le premier, obtenu par échographie, est une mesure de la pulsatilité de l'artère utérine, et le second est un dosage des niveaux sanguins de deux protéines associées à la grossesse», explique le chercheur.
Pour comparer l'efficacité des deux outils prédictifs, les chercheurs ont suivi 7325 femmes recrutées au moment où elles étaient entre la 11e et la 14e semaine d'une première grossesse. Du nombre, 65 ont souffert de prééclampsie avant la 37e semaine de grossesse, dont 22 cas sévères qui ont nécessité un accouchement avant la 34e semaine de grossesse.
«La méthode présentement utilisée au Canada et aux États-Unis aurait permis de dépister 59% des cas de prééclampsie sévère et elle aurait généré 34% de faux positifs (des femmes à qui on aurait inutilement prescrit de l'aspirine). La nouvelle approche permet de dépister 77% des cas de prééclampsie sévère et le taux de faux positifs est de 16%», résume le professeur Bujold.
Cette nouvelle approche a été mise à l'essai au CHU de Québec grâce au concours de plus de 2000 patientes. «Elle a permis de réduire de 50% les accouchements avant la 34e semaine de grossesse, souligne le professeur Bujold. Nous espérons maintenant pouvoir la mettre à l'essai dans le cadre d'un projet pilote en Gaspésie. Cette approche assure non seulement une grossesse plus sécuritaire pour la mère et l'enfant, mais elle n'engendre pas de dépenses supplémentaires au système de santé. Le coût des soins dispensés à un seul grand prématuré peut être très élevé. Les économies générées par cette nouvelle méthode de dépistage de la prééclampsie couvriraient largement les coûts de son implantation.»
Les signataires de l'étude parue dans Hypertension sont Paul Guerby, François Audibert, Jo-Ann Johnson, Nan Okun, Yves Giguère, Jean-Claude Forest, Nils Chaillet, Benoit Masse, David Wright, Louise Ghesquière et Emmanuel Bujold.