Si les rennes du père Noël partagent l'infortune des caribous migrateurs du nord du Québec, il y a de fortes chances qu'ils aient une meute de loups à leurs trousses pendant leur grande virée du 25 décembre. En effet, une étude publiée dans la revue scientifique Oikos montre que la plupart des loups du Nord québécois mettent de côté leur comportement territorial pour suivre les caribous pendant leurs migrations annuelles.
«En Amérique du Nord, le loup gris est généralement considéré comme une espèce territoriale qui n'effectue pas de longs déplacements, rappelle le responsable de l'étude, Steeve Côté, professeur au Département de biologie et chercheur au Centre d'études nordiques de l'Université Laval. Par contre, ses habitudes de vie à la limite nord de son aire de répartition étaient moins bien connues. Nous avons donc décidé d'étudier la question, entre autres pour documenter le rôle de ce prédateur dans le déclin du troupeau de caribous migrateurs Rivière-aux-Feuilles. Les effectifs de ce troupeau sont passés de plus de 628 000 individus en 2001 à moins de 200 000 aujourd'hui.»
Les caribous du troupeau Rivière-aux-Feuilles passent l'hiver en forêt boréale. À l'arrivée du printemps, ils entreprennent une migration vers le nord pour rejoindre leur aire de mise bas, située dans la toundra. Après la naissance des petits, en juin, les caribous se rendent aux aires d'estivage, également dans la toundra. À partir de la fin septembre, ils reprennent la route en direction des aires d'hivernage. «En ligne droite, plus de 700 km séparent les aires d'estivage et les aires d'hivernage du troupeau Rivière-aux-Feuilles. C'est la plus longue migration effectuée par un mammifère terrestre en Amérique du Nord», souligne Steeve Côté.
Les chercheurs ont installé des colliers GPS sur 59 loups (un par meute) et sur 431 caribous du troupeau Rivière-aux-Feuilles. Le suivi des déplacements effectués par ces animaux entre 2011 et 2021 a révélé un visage méconnu du prédateur. «Nous avons découvert que seulement 17% des loups étudiés étaient sédentaires, alors que 47% suivaient les caribous jusqu'à la limite des forêts, sur des distances variant de 150 à 400 km, et que 36% accompagnaient les caribous tout au long de l'année. Cela signifie que plus de 80% des meutes de loups suivent les caribous pendant une partie ou la totalité de leurs migrations», résume le chercheur.
Fait intéressant, au printemps les loups se mettent en route vers le nord environ trois semaines avant les caribous. «Ils profitent de cette période pour faire du repérage de tanières et pour donner naissance à leurs petits, explique Steeve Côté. Ils interceptent les caribous lorsque ceux-ci se dirigent vers leur aire de mise bas.»
Le comportement migrateur du loup en milieu nordique ne serait ni nouveau ni fixe, croit le chercheur «ll n'y a pas de raison de croire que ces migrations sont un phénomène récent. Si personne n'en a fait mention jusqu'ici, c'est qu'aucune étude n'avait été menée sur des animaux marqués. Par ailleurs, une même meute peut être migratrice une année et sédentaire l'année suivante. Les trois tactiques que nous décrivons dénotent la grande plasticité des comportements du loup.»
Les conclusions de cette étude ont des implications pour la conservation et la gestion du caribou, poursuit le professeur Côté. «Jusqu'à maintenant, on pensait qu'il y avait un relâchement de la pression de prédation lorsque le caribou quittait ses aires d'hivernage. Nos observations montrent que ce n'est pas le cas. C'était déjà compliqué de gérer une espèce migratrice comme le caribou. Nous constatons maintenant que nous avons deux espèces migratrices à gérer en même temps.»
Les signataires de l'étude publiée dans Oikos sont Candice Michelot, Martin Leclerc, Julien Hénault Richard et Steeve Côté, de l'Université Laval, et Joëlle Taillon et Christian Dussault, du ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec.