Près de 150 internautes ont assisté, du début à la fin, au troisième Forum du Cercle des leaders de l’Université Laval, le vendredi 3 novembre dernier. La présentation d’une heure et demie a eu lieu en ligne avec la participation à distance de trois des six personnalités québécoises membres du Cercle. Il s’agit de l’ancien premier ministre du Québec de 1996 à 2001, Lucien Bouchard, de l’ancienne directrice générale d’Hydro-Québec de 2020 à 2023, Sophie Brochu, et de l’ancienne présidente internationale de Médecins sans frontières de 2013 à 2019, Joanne Liu. L’animation a été confiée à Stéphane Roche, professeur au Département des sciences géomatiques.
Pour rappel, le Cercle des leaders a pour mandat d’accompagner et inspirer les étudiantes et les étudiants des Chantiers d’avenir, des formations de l’Université Laval créées sur mesure pour répondre à des défis complexes de société. Le Forum, quant à lui, est une occasion pour toute la communauté universitaire de se joindre aux réflexions des membres du Cercle.
Inspirer la confiance
L’ancien premier ministre a lancé le débat en insistant sur deux qualités essentielles pour un leader: la lucidité et le courage. À cela, Sophie Brochu a renchéri avec des caractéristiques telles que la vision, la capacité à rassembler et la capacité à créer un climat de confiance. «La confiance, a-t-elle dit, est à la base de l’intérêt commun. Malheureusement, dans plusieurs sociétés, on a perdu cette confiance envers les leaders politiques. Les citoyens sont passés de la confiance à la défiance, ils l’ont bousculée. Au Québec, cependant, nous ne sommes pas rendus là.» Plus tard au cours du Forum, elle citera Jean-Paul Sartre: «la confiance se gagne en gouttes et se perd en litres». Johanne Liu, pour sa part, a fait référence à une étude parue en 2022 dans la revue savante The Lancet. «Cent soixante-dix-sept pays ont mieux traversé la pandémie de COVID-19 parce que la population avait confiance dans les autorités et parce que les communautés s’étaient approprié la problématique.» Selon Lucien Bouchard, «sans confiance, il n’y a rien de possible».
L’ancienne directrice générale d’Hydro-Québec a ensuite cité le Mahatma Gandhi: «Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde», avant d’enchaîner sur la modestie, l’une des principales valeurs qui doivent, selon elle, guider le leader. Pour l’ancienne présidente de Médecins sans frontières, la valeur de base doit être l’intégrité, «avec une bonne dose d’humilité; sans ça, il est facile de faire des dérapages». Selon l’ancien premier ministre, n’importe quel leader doit être en phase avec son milieu. «De Gaulle et Churchill, a-t-il demandé, pourraient-ils réussir aujourd’hui? Ils appelaient à une hauteur de vue. Un leader émerge d’un milieu, les gens doivent se reconnaître en lui. Il faut une identification.»
Face aux crises actuelles, qu’elles soient environnementales, sociales ou politiques, l’approche des petits pas est-elle préférable, ou faut-il bousculer pour changer les choses? À cette question posée par l’auditoire, Lucien Bouchard a répondu que les petits pas ne seraient pas une approche appropriée pour les grandes décisions. «En environnement, a-t-il affirmé, il y a des électrochocs à prendre. Pour les grandes décisions, il faut des orientations claires.» Sophie Brochu a souligné, pour sa part, que l’heure est aux grandes décisions économiques au Québec. «Je pense que nous avons besoin de plus de petits pas dans l’univers social, le temps de rééquilibrer tout ça.»
Pour une distribution plus équitable des richesses
Une des questions de l’auditoire portait sur le renforcement de la résilience dans les communautés. Comme solution, l’ancienne directrice générale d’Hydro-Québec a plaidé en faveur d’une distribution plus équitable des richesses, en ajoutant «si on était plus sensibles». «Je pense, a-t-elle expliqué, qu’il faut ramener au centre de la conversation la question de l’inéquité, des disparités. Toutes les crises ont été créées par les riches. Quand on pense aux changements climatiques et autres, si vous êtes étudiant avec des revenus modestes, ce n’est pas vous qui êtes responsable des problèmes.»
Selon l’ancien premier ministre, «nous sommes en train de creuser un fossé épouvantable entre les classes défavorisées et la classe moyenne». «C’est là qu’apparaît le rôle des dirigeants politiques, a-t-il poursuivi. Au Québec, les gouvernements sociaux-démocrates ont créé des programmes sociaux pour combler l’écart, tels que les impôts pondérés selon le revenu, l’assurance médicaments, l’équité salariale, les garderies.»
Ce dernier a soutenu qu’un danger nous guette: le désespoir. «Le tableau est sombre, a affirmé Lucien Bouchard. Il incite à se décourager. Il faut aller voir dans l’histoire ce qui nous caractérise, comment les 60 000 habitants de la Nouvelle-France s’en sont sortis après la Conquête. Il y a un ressort sur lequel on peut construire, comme la démocratie. Nos sociétés sont mieux organisées qu’au Moyen Âge. Partout, les sociétés engagent le combat et jettent les bases d’un élan nouveau. C’est le meilleur rempart pour garder espoir.»
Joanne Liu a renchéri. «Quand on fait partie du G7, je ne crois pas que la posture pessimiste et négative soit un choix raisonnable, a-t-elle expliqué. Je ne comprends pas qu’on se décourage. On a tout pour faire quelque chose. Sinon, je n’aurais jamais rien fait avec Médecins sans frontières, notamment en combattant le virus Ebola en Afrique. Le philosophe Antonio Gramsci a dit: “Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté”.»
L’une des dernières questions portait sur la transition socio-écologique. Selon Sophie Brochu, peu importe le scénario qui sera retenu pour avancer, il est impératif de prendre en compte, dès aujourd’hui, les mesures qui seront prises dans le futur. «On doit demander aux dirigeants de mettre tout de suite de l’argent de côté pour le financement de ces mesures, a-t-elle indiqué. Si on va de l’avant, cela va coûter moins cher que si on n’avance pas. Ramener le droit de vote à 16 ans permettrait à davantage de jeunes de s’exprimer, eux qui vont assurer demain.»